Barcelone est la première installation photographique d’une série de trois œuvres que le MBAC va exposer dans le cadre de son programme Femmes en tête, qui célèbre des œuvres de grande envergure réalisées par certaines des plus grandes artistes du Canada.
Peu après avoir été choisie, Geneviève Cadieux a réfléchi avec la commissaire du projet et conservatrice principale de l’art contemporain au musée, Josée Drouin-Brisebois, afin de déterminer laquelle de ses œuvres conviendrait le mieux à la grande façade vitrée (côté sud) du musée, ce dernier étant actuellement fermé en raison des effets de la pandémie en Ontario.
« Le lieu dicte souvent l’œuvre, dit Geneviève Cadieux. Le musée était intéressé par quelque chose d’intime ou lié au corps. Pas à un paysage puisqu’on est déjà dans le paysage. J’ai pensé tout de suite à Barcelone. Je me suis rendu compte qu’elle avait le potentiel d’une œuvre d’art publique. Car c’est compliqué de faire exister la photographie à l’extérieur. »
Déclaration d’humilité pour une artiste dont plusieurs œuvres sont parfaitement intégrées à l’architecture en milieu urbain. Pour ne citer que La Voie lactée (1992), sur le toit du Musée d’art contemporain de Montréal, sa petite sœur en mosaïque La Voix lactée, installée dans la station Saint-Lazare du métro de Paris, ou encore l’œuvre Flow/Flots, commandée pour la station Rideau du train léger d’Ottawa.
« Oui, mais c’est la première fois que j’ai une installation de cette ampleur avec neuf grandes photographies ! », dit-elle. D’une longueur de 79,25 m (260 pieds), Barcelone est la plus grande œuvre photographique exposée de toute l’histoire du Musée des beaux-arts du Canada. Chaque photographie sur toile mesure 4,17 m de haut sur 5,08 m de large. Deux équipes de techniciens ont travaillé à monter les panneaux photographiques avec une grue sur la façade du musée.
Quand Geneviève Cadieux l’a créée en 2003, Barcelone était constituée d’une séquence de 11 photos prises avec trois appareils aux objectifs différents. Elle en a conservé neuf pour la frise du MBAC. Les images, dont la contemporanéité n’a pas pris une ride, mettent en scène des soleils pris à Montréal, avec les effets des incendies de forêt de la Baie-James, en 2002, qui donnent une lumière étrange, crépusculaire ; la sœur de l’artiste, la comédienne Anne-Marie Cadieux ; et le restaurateur Hubert Marsolais (Club Chasse et Pêche, Le Serpent, Le Filet).
Pour l’installation Barcelone, Geneviève Cadieux a refait des tests de couleurs car elle trouvait les originaux un peu trop gris. Elle a aussi réimprimé sur papier cette série qui avait été exposée à l’origine chez son galeriste René Blouin, dans des dimensions évidemment plus modestes, soit 11 po sur 12 po.
Ces photographies célèbrent à la fois le temps qui passe pour les deux personnages qui se déplacent, le passage d’un évènement naturel dans le ciel de la métropole et le parcours de l’astre solaire en orbite autour du centre galactique. Tout semble figé à l’œil humain, or tout est en mouvement.
« Le passage du temps s’inscrit dans cette œuvre-là, dit Geneviève Cadieux. Curieusement, la forêt qui avait été détruite à l’époque est une taïga [ou forêt boréale]. Et l’œuvre, à Ottawa, est située devant un jardin taïga créé par l’architecte paysagiste Cornelia Hahn Oberlander ! C’est étrange, non ? »
Barcelone — dont le titre joue sur la phonétique bar-seul-lone et barse-alone — est aussi une non-rencontre entre deux êtres, leur manque de communication malgré le désir, une relation qu’on imagine compliquée et détachée dans le couple, si c’en est un.
Enfin, l’œuvre peut évoquer les circonstances de la pandémie. La non-rencontre, c’était aussi pour Geneviève Cadieux et la commissaire un vécu partagé par tous les Québécois, soit de ne pouvoir rencontrer la famille et les amis.
Quand on regardait les images de Barcelone en mai 2020, lors de nos réflexions sur le choix de l’œuvre, c’était un peu ce qu’on ressentait à l’intérieur. Cet éloignement, ce manque de lien avec un autre humain.
Josée Drouin-Brisebois, conservatrice principale de l’art contemporain au MBAC
L’œuvre exposée jusqu’au printemps 2022 traversera les saisons. « Je suis très contente, car ça sera très beau aussi l’hiver prochain, de près comme de loin, et d’autant plus quand les arbres perdront leur feuillage », dit Geneviève Cadieux.
Cet hommage que le MBAC rend à l’artiste montréalaise lui est d’autant plus doux qu’elle a vécu à Ottawa et que son père y avait ouvert un cinéma de répertoire. Il y a donc dans cette nouvelle version de Barcelone un lien avec son histoire familiale. De plus, la séquence photographique inscrite en façade du musée a des airs de bouts de film cinématographique… tout près de Maman, de la grande Louise Bourgeois.