(Washington) Les juges de la Cour suprême des États-Unis ont joué mercredi avec humour aux critiques d’art pour tenter de démêler une affaire complexe de droits d’auteurs liée à des portraits de Prince réalisés par Andy Warhol.

Steven Spielberg, Piet Mondrian, Stephen King ou Dark Vador… loin de leurs arides manuels de droit, les neuf sages ont puisé dans leur culture générale pour mesurer les potentielles répercussions de leur décision pour le monde de l’art.

Au cœur du conflit : seize portraits sérigraphiés réalisés en 1984 par le « pape du Pop Art » à partir d’une photo du légendaire musicien prise trois ans plus tôt par Lynn Goldsmith, réputée pour avoir immortalisée de nombreuses stars du rock.

La photographe, qui se trouvait dans le public mercredi, demande des droits d’auteur à la fondation Andy Warhol, qui les lui refuse. Après des décisions contradictoires des tribunaux, la Cour suprême doit les départager.

Au passage, elle doit clarifier le droit de la propriété intellectuelle en matière d’œuvres dites « transformatives », c’est-à-dire qui empruntent à une première œuvre pour aboutir à une création originale.

Malgré le sérieux des enjeux, l’audience a suscité de nombreux éclats de rire, notamment quand le juge très conservateur Clarence Thomas a confié être « fan de Prince ». Le chef de la Cour John Roberts a lui déconcerté un avocat avec sa maîtrise de l’art abstrait, tandis que la magistrate Amy Coney Barrett a semblé prête à débattre du sens du « Seigneur des Anneaux ».

« Purple Fame »

Le dossier au cœur de leurs échanges trouve sa source en 1981. Lynn Goldsmith propose à l’hebdomadaire Newsweek de tirer le portrait d’un musicien qui commence à percer. Elle réalise plusieurs clichés en noir et blanc du jeune homme aux traits fins.

En 1984, l’album « Purple Rain » propulse Prince au rang de star. Le magazine Vanity Fair veut lui consacrer un article et demande à Andy Warhol de réaliser son portrait dans le style de ses célèbres gravures colorées de Marilyn Monroe ou Mao.

Contre 400 dollars, Lynn Goldsmith autorise le magazine à utiliser l’une de ses photos pour l’usage exclusif de cet article. Intitulé « Purple Fame », le texte est accompagné du visage de Prince, la peau violette et le cheveu de jais, sur un fond orange vif.

L’histoire en serait restée là si Andy Warhol n’avait pas décliné cette photo sur tous les tons pour créer une série de 16 portraits du musicien, qu’il admirait pour son talent et son style androgyne.

Lynn Goldsmith a découvert leur existence en 2016 à la mort de Prince, quand Vanity Fair a publié en une image du « Kid de Minneapolis » tirée de sa photo mais tout orange cette fois.

Elle a alors pris contact avec la fondation Andy Warhol, qui gère la collection de l’artiste depuis sa mort en 1987, pour réclamer des droits, ouvrant la porte à une intense bataille judiciaire.

« Folie »

En 2019, un juge de première instance a donné raison à la fondation en estimant qu’Andy Warhol avait transformé le message de l’œuvre.

Pour lui, Lynn Goldsmith s’est attachée à montrer Prince comme une personne « vulnérable, mal à l’aise », tandis que les portraits d’Andy Warhol soulignent son statut d’« icône, plus grand que nature ».

Une cour d’appel a toutefois invalidé son raisonnement, en estimant que les juges ne pouvaient pas jouer « les critiques d’art et analyser les intentions et les messages des œuvres ».

Ce débat s’est rejoué mercredi à la Cour suprême, où John Roberts, notamment, a insisté sur le fait que le portrait d’Andy Warhol ne visait pas « à montrer à quoi ressemble Prince mais à donner une perspective sur son statut de célébrité ».

L’avocate de Mme Goldsmith, Lisa Blatt, a essayé de montrer « la folie » de ce critère : « je vous assure qu’une photo de moi retouchée ne porte pas du tout le même message qu’une authentique ».

« C’est faux », a rétorqué le magistrat, provoquant le rire du public. « Ce seront deux photos de la même femme, qui a peut-être juste l’air un peu mieux sur l’une… »

Les juges ont toutefois semblé vouloir dépasser la question du « sens » en se posant aussi celle de « l’usage » des deux œuvres.

La juge Sonia Sotomayor a relevé que le « Orange Prince » visait à illustrer un article, comme l’aurait fait une photo de Lynn Goldsmith, et avait donc un « usage commercial ». « S’il avait été utilisé dans un musée ce serait peut-être différent », a ajouté son collègue Brett Kavanaugh.

Leur réponse est attendue d’ici au 30 juin.