Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) vient de concocter une expo majeure sur l’artiste new-yorkais Jean-Michel Basquiat, mort tragiquement en 1988 à l’âge de 27 ans seulement. Son angle : explorer les liens foisonnants qui existent entre la musique et son œuvre visuelle.

Jean-Michel Basquiat était un mélomane, bien sûr, qui possédait une impressionnante collection de plus de 3000 albums, mais il était également DJ – entre autres dans les clubs Area et Palladium –, jouait dans le groupe de musique expérimentale Gray, qu’il avait cofondé avec Michael Holman, sortait dans les boîtes de nuit – au Club 57, au Mudd Club ou au CBGB – et frayait avec les artistes de la scène musicale.

« Il jouait de la clarinette, des synthés et aussi une espèce de machine-chariot conçue par Peter Artin, précise le commissaire Vincent Bessières, invité par le Musée de la musique – Philharmonie de Paris. Mais il ne jouait pas de manière orthodoxe, il n’avait pas de formation musicale. Il abordait la création artistique de la même manière, en refusant les canaux esthétiques existants. »

Influencé par les courants musicaux de son époque, en particulier du punk rock, du no wave, du hip-hop, du jazz et même de l’opéra, Jean-Michel Basquiat a abordé ses travaux « musicalement ». Dans les thèmes, les sujets, la poésie et le style. On pense entre autres à ses portraits d’artistes issus du monde du hip-hop (Toxic, A-One, Ero).

  • Toxic, 1984. Acrylique, bâton à l’huile et collage de photocopies sur toile. Paris. Fondation Louis Vuitton.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Toxic, 1984. Acrylique, bâton à l’huile et collage de photocopies sur toile. Paris. Fondation Louis Vuitton.

  • Left Hand-Right Hand, 1984-1985. Succession de Jean-Michel Basquiat.

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    Left Hand-Right Hand, 1984-1985. Succession de Jean-Michel Basquiat.

  • Slave Auction, 1982, acrylique, bâton à l’huile et collage de papier sur toile. Don de la Société des amis du Musée national d’art moderne, 1993. Paris. Centre Pompidou.

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    Slave Auction, 1982, acrylique, bâton à l’huile et collage de papier sur toile. Don de la Société des amis du Musée national d’art moderne, 1993. Paris. Centre Pompidou.

  • Now’s the Time, 1985. Brant Foundation.

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    Now’s the Time, 1985. Brant Foundation.

  • À gauche : Dog Bite/Ax to Grind, 1983. Rotterdam Museum Boijmans Van Beunigen. À droite : Anybody Speaking Words, 1982. Collection particulière, Suisse.

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    À gauche : Dog Bite/Ax to Grind, 1983. Rotterdam Museum Boijmans Van Beunigen. À droite : Anybody Speaking Words, 1982. Collection particulière, Suisse.

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Selon le commissaire Dieter Buchhart, spécialiste de l’œuvre de Basquiat, qui est à l’origine de 22 rétrospectives de l’artiste dans le monde depuis 2010, l’artiste new-yorkais avait « des habitudes de musicien dans son art ».

Il créait ses œuvres et ses collages en suivant des rythmes et des répétitions propres à la composition de la musique hip-hop, en ajoutant beaucoup d’improvisation typique du jazz. Sa technique de copier-coller, par exemple, rappelle l’échantillonnage, donc la musique l’a toujours guidé dans sa façon de créer.

Dieter Buchhart, commissaire

Le parcours conçu par la conservatrice en chef du MBAM Mary-Dailey Desmarais – avec les deux autres commissaires de l’expo, Vincent Bessières et Dieter Bucchart – a été divisé en sept sections et compte une centaine d’œuvres de Jean-Michel Basquiat, mais aussi des extraits sonores et des vidéos.

Non seulement Basquiat concevait le matériel publicitaire de groupes qu’il aimait – comme DNA, Lounge Lizards ou Mofungo –, mais il exposait ses œuvres dans des clubs (au Mudd Club, par exemple, ou au Palladium) ou dans des galeries ou espaces alternatifs comme à la Fun Gallery ou à l’Area – hors des circuits d’exposition traditionnels.

Musique et politique

Dieter Buchhart estime que plusieurs clés nous permettent de mieux comprendre l’œuvre de Basquiat à travers le prisme musical. La plus importante étant la clé politique. « Tout ce qui touche au racisme, à la brutalité policière, à l’esclavagisme, au colonialisme », précise-t-il.

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Negro Period, 1986. Paris. Fondation Louis Vuitton.

Tous ces sujets peuvent être vus à travers le prisme de la musique, puisqu’il a abondamment représenté ces thèmes à travers les musiciens de jazz, « qui ont vécu de plein fouet la ségrégation raciale aux États-Unis ». Louis Armstrong, Max Roach, King Pleasure.

À travers ses œuvres, il y a d’ailleurs une référence constante que l’on retrouve inscrite de toutes sortes de façons dans les tableaux et objets de Jean-Michel Basquiat : celle du saxophoniste Charlie Parker, mort en 1955, cinq ans avant sa naissance. Tantôt appelé Charlie, Bird ou Charles The First. Basquiat fait même référence à la fille décédée de Parker : Pree.

Comment expliquer la fascination de Jean-Michel Basquiat pour le jazzman américain, représenté entre autres dans l’œuvre circulaire Now’s the Time (1985) ? Mais à qui il a également rendu hommage dans son installation Klaunstance, six petits cubes couverts de dessins et de mots, réalisés in situ en 1985 à l’Area d’après une de ses compositions enregistrées en 1947.

« Charlie Parker était pour lui une figure d’identification, répond Vincent Bessières, qui avait conçu l’expo Miles Davis, le jazz face à sa légende, présentée au MBAM il y a une douzaine d’années. Il est aussi une figure tragique, qui est mort jeune. »

Charlie Parker incarnait la capacité à créer en temps réel et à se renouveler sans arrêt. Il a compris que le jazz consistait à mobiliser tout un savoir, une technique, pour en exprimer quelque chose de très personnel et très spontané. C’est ce qui fascinait Jean-Michel Basquiat, je crois, et c’est ce qu’il a tenté de faire comme créateur.

Vincent Bessières, commissaire

Des œuvres difficiles à emprunter

La très grande majorité des œuvres exposées appartiennent à des collectionneurs privés. Un défi pour le commissaire Dieter Buchhart.

« Je commence à bien connaître les collectionneurs, nous dit ce spécialiste basquien, mais oui, ça reste un défi. Heureusement, il y a des musées qui commencent à faire l’acquisition de ses œuvres. Aujourd’hui, son importance n’est plus mise en doute, mais ironiquement, plus il est reconnu, plus il est difficile d’emprunter ses œuvres. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le commissaire Vincent Bessières, la conservatrice en chef du MBAM Mary-Dailey Desmarais, la sœur de Jean-Michel Basquiat Jeanine Heriveaux et le commissaire Dieter Buchhart

Le Musée des beaux-arts de Montréal possède deux de ses tableaux : Un comité d’experts, 1982 (qui fait partie de l’expo) ; et Seascape, 1983. La plus jeune sœur de Jean-Michel Basquiat, Jeanine Heriveaux, était présente mercredi au MBAM. Sa famille a prêté le tableau Left Hand-Right Hand, 1984, 1985.

La benjamine de la famille, qui administre la succession de Jean-Michel avec sa sœur Lisane Basquiat, a d’ailleurs monté l’expo Jean-Michel Basquiat : King Pleasure, dans le quartier Chelsea, à New York. Une expo qui réunit plus de 200 œuvres de son frère, qui a été prolongée jusqu’en janvier 2023.

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Un comité d’experts, 1982. MBAM. Don d’Ira Young.

Lisez notre article sur cette expo

La musique est bien sûr présente dans les différentes salles – ici une vidéo de James White and the Blacks, là Rammellzee et Toxic ou Debbie Harry de la formation Blondie –, mais pour une expo centrée sur la musique, elle est relativement discrète. Un choix volontaire, nous dit Dieter Buchhart, qui ne souhaitait pas que la musique vampirise l’expo non plus.

« C’était important pour nous de permettre au visiteur de focaliser sur les travaux. Si la musique est trop présente, elle empêche notre cerveau d’apprécier l’aspect visuel, qui est difficile à interpréter, donc il a fallu trouver un équilibre. » Une application de réalité augmentée peut être téléchargée et permet au visiteur d’avoir accès à du contenu multimédia, des photographies et de la musique additionnelle.

Après son séjour montréalais, l’expo À plein volume : Basquiat et la musique sera présentée au Musée de la musique – Philharmonie de Paris.

À plein volume : Basquiat et la musique. Au Musée des beaux-arts de Montréal du 15 octobre 2022 au 19 février 2023.

Consultez le site du musée

Jean-Michel Basquiat : King Pleasure. Au Starrett-Lehigh Building, Chelsea, New York, jusqu’en janvier 2023.

Consultez la page de l’exposition (en anglais)