La technologie. Ses bons, ses mauvais côtés. Son pouvoir libérateur. Sa capacité de création, de rapprochement social. Mais aussi sa dimension oppressive ou paralysante. La Fondation Phi a invité 14 artistes, d’ici et d’ailleurs, habités par la puissance technologique. Il en résulte l’exposition Conditions d’utilisation, avec des œuvres fortes, étranges, belles, inspirantes, dérangeantes ou poétiques. De l’art, quoi !

On vit tous le même choix. Foncer ou se restreindre ? Ignorer le bip du texto ou se précipiter sur le téléphone ? Dans le métro, on est plongé dans nos écrans. Obsession ? Drogue ? Est-ce la même chose avec un livre ? Ou une soif de connaissance et de plaisir dans les deux cas ?

Comme dans l’expo de Nicolas Baier chez Blouin Division, on s’immerge à Phi dans l’univers technologique et son influence dans nos vies. Mais la technologie, c’est l’ordinateur, le livre et même le crayon, rappelle Cheryl Sim, coresponsable du commissariat de Conditions d’utilisation avec le chercheur Daniel Fiset, qui estime qu’« on utilise la technologie autant qu’elle nous utilise ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les deux commissaires Cheryl Sim et Daniel Fiset entourent les artistes invités pour l’exposition.

Le thème techno part dans tous les sens dans cette expo. À cause de la diversité des artistes. Dans la première salle, l’Anishinabé Nico Williams met en évidence le contraste entre, d’une part, l’efficacité terrifiante d’Amazon à nous livrer rapidement tout et n’importe quoi et, d’autre part, le perlage, cette technique lente et minutieuse qui lui a permis de concevoir Special Delivery, un pastiche impressionnant de l’emballage d’Amazon, créé en milliers de perles de verre.

PHOTO RICHARD-MAX TREMBLAY, FOURNIE PAR PHI

Special Delivery, 2023, Nico Williams, 25,5 cm x 80 cm

Nous avons beaucoup aimé Dé[faroucher], un solide projet vidéo de l’artiste VahMiré, alias Ludmila Steckelberg. Son œuvre est un hommage à Montréal qu’elle quittera prochainement pour retourner au Brésil. La vidéo, couplée d’une version en réalité virtuelle, est une évocation plus abstraite que figurative du sens d’appartenance qu’elle a eu avec la métropole. Avec des allusions à la nature, aux architectures et au climat, avec ses flocons cubiques qui épousent les trottoirs. Un hommage sensible avec divers médiums de représentation de soi et du milieu de vie.

PHOTO FOURNIE PAR PHI

Photo tirée de la vidéo Decision Fatigue, 2020, d’Ilana Yacine Harris-Babou

Non loin, une vidéo de l’Américaine Ilana Yacine Harris-Babou parodie les tutoriels de soins de beauté pour femmes qu’on trouve sur l’internet. Un travail sur l’obsession de performance et le mimétisme qui caractérisent ces guides du savoir-paraître contemporain.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Toujours combative et productive, Skawennati (dont l’avatar est xox) devant sa « machinimage » tirée de la série On The Occasion of The Three Sisters Accompanying xox on Her Visit to The Queen, 2022

Très heureux de retrouver Skawennati, l’artiste mohawk du cyberespace, avec son installation CyberPowPow (1997-2004). Un environnement virtuel qui permettait à l’origine de clavarder en temps réel dans un espace autochtone. Et que les visiteurs peuvent découvrir maintenant pour y créer leur avatar.

Dans l’alcôve contiguë, l’artiste ontarien Brendan Fernandes présente The Left Space, commandé durant la pandémie par le Musée des beaux-arts de l’Ontario. Une vidéo sur cette période durant laquelle on a beaucoup utilisé Zoom. Brendan Fernandes a travaillé avec des danseurs (d’un peu partout) qui se sont connectés à Zoom et prêtés à une performance en direct pour remémorer l’isolement et le désir de communication ressentis en 2020 et en 2021. Et pour évoquer autant la solidarité que la nécessité d’exprimer ses points de vue.

Quelques œuvres
  • Ancestral Technofossil-Ancestral Plane du projet Missing Black Technofossils Here, 2020, Quentin VerCetty, épreuve numérique

    PHOTO FOURNIE PAR PHI

    Ancestral Technofossil-Ancestral Plane du projet Missing Black Technofossils Here, 2020, Quentin VerCetty, épreuve numérique

  • Gold Girl, 2022, Chun Hua Catherine Dong, acide polylactique imprimé en 3D, 30 cm x 40,6 cm x 60,9 cm

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Gold Girl, 2022, Chun Hua Catherine Dong, acide polylactique imprimé en 3D, 30 cm x 40,6 cm x 60,9 cm

  • The Looks, 2015, Wu Tsang, projection vidéo sur deux écrans, 10 min

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    The Looks, 2015, Wu Tsang, projection vidéo sur deux écrans, 10 min

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Installation pertinente aussi de la Montréalaise Shanie Tomassini. Lueurs d’écrans sous un ciel sans lune est constituée de deux sculptures en styromousse – recouvertes de fibre de verre et de ciment pulvérisé –, d’un rideau de billes d’acier et d’un espace intime où des petites créations en céramique voisinent 15 cellulaires créés en encens et qui seront brûlés pendant toute la période de l’exposition. Un travail sur l’obsolescence technologique et sur l’historique du savoir-faire humain, cette conjugaison de talents et de recours à l’outil.

  • Les sculptures de Shanie Tomassini

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les sculptures de Shanie Tomassini

  • De petites créations en céramique voisinent 15 cellulaires créés en encens et qui seront brûlés pendant toute la période de l’exposition.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    De petites créations en céramique voisinent 15 cellulaires créés en encens et qui seront brûlés pendant toute la période de l’exposition.

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Dans les espaces du 465, rue Saint-Jean, la grande salle est occupée par des œuvres d’une esthétique extrêmement efficace de Chun Hua Catherine Dong. L’installation Meet Me Half Way présente quatre écrans diffusant du dessin animé numérique créé grâce à une performance effectuée en réalité virtuelle. Mulan est une autre animation qu’on peut voir sur un écran ou avec un casque VR. Reconnection comprend trois photos prises dans Charlevoix et représentant l’artiste, habillée de vêtements d’apparat, qui regarde la Grande Muraille de Chine dans son casque VR. Un travail notamment sur la technologie qui permet d’être à la fois dans un endroit et virtuellement dans un autre.

Voyez l’installation de Chun Hua Catherine Dong

La visite se termine par The Looks, double vidéo de Wu Tsang évoquant la relation compliquée entre les artistes et la technologie détenue par des intérêts privés, mais aussi avec le projet expérimental de Nadège Grebmeier Forget, Je n’en finirai pas de soulever tous ces visages, présenté dans la salle éducative de Phi. Un parcours au sein de miroirs sur lesquels les visiteurs peuvent se représenter de façon abstraite avec des produits de maquillage. Un travail sur la performance corporelle et sur l’image qu’on a de soi, sans passer par un réseau social comme Instagram. En étant seul et ensemble avec les autres visiteurs, le miroir remplaçant l’écran…

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Nadège Grebmeier Forget près de son installation

Consultez le site de la Fondation Phi