Quelle a été la genèse de l’exposition ?
Lisa Small : Peu après le lancement de Nanette, le spectacle d’Hannah Gadsby, nous avons eu la chance de la voir au musée. Nous avons réalisé que nous partagions avec elle un intérêt pour la manière de traiter les biographies ignorées et problématiques de beaucoup de « héros » créatifs. Puis le musée Picasso nous a invités à participer au projet du 50e anniversaire.
Comment les artistes féministes dont les œuvres répondent à celles de Picasso ont-elles été choisies ?
Catherine Morris : Nous avons réfléchi aux œuvres de notre collection qui réévaluent activement le canon moderniste. Beaucoup des œuvres féministes de l’expo sont d’artistes qui ont beaucoup d’intérêt pour le modernisme européen tout en utilisant leur vision et leur vie pour l’enrichir.
Comment pouvons-nous réconcilier la critique de Picasso et l’engouement qui perdure pour ses œuvres sur le marché de l’art ?
Catherine Morris : La réconciliation n’est peut-être pas nécessaire. Picasso suscite des sentiments forts au sujet de son art, de sa vie, et des marchés qui ont été construits sur son œuvre et sa réputation. L’un de nos objectifs est de démontrer l’impact du féminisme sur notre évaluation actuelle de l’artiste et de montrer que cette révision a eu lieu depuis sa mort en 1973.
Devrions-nous tenir compte des valeurs des sociétés passées quand on évalue l’importance culturelle actuelle d’un artiste ?
Catherine Morris : En histoire de l’art, il a longtemps été difficile de débattre de la pertinence des personnages historiques pour les débats contemporains tout en les plaçant dans leur contexte historique. Ce contexte historique implique des valeurs qui peuvent sembler datées, parfois même douteuses sur le plan moral. Je pense qu’on peut présenter ces faits sans être neutres dans nos évaluations.
Vous évoquez les premières critiques de Picasso par des féministes blanches, qu’ont modifiées plus récemment des femmes de minorités ethniques et des critiques queer.
Catherine Morris : La critique révisionniste dans les années 1970 et 1980 était généralement le fait de femmes blanches. Mais il y a eu aussi le travail puissant de Faith Ringgold, Dindga McCannon, Howardena Pindell et Betye Saar, de même que la voix lesbienne de Harmony Hammond. Ces voix ont demandé plus d’espace dans les dernières décennies pour recadrer le discours dominant du féminisme blanc [whitestream feminism]. Elles ont aussi inspiré des générations de nouvelles artistes comme Mickalene Thomas et Renee Cox. Cela rend le révisionnisme féministe de l’histoire de l’art plus riche, plus complexe et plus compliqué.
L’un des essais de l’exposition propose de passer d’une vision de l’art comme « l’un ou l’autre » à un paradigme « tous deux » (either/or et both/and).
Catherine Morris : L’essentiel de la réflexion sur la modernité est basé sur l’idée de la dialectique : les développements historiques font une synthèse à partir d’une thèse et d’une antithèse. Ce modèle élégant a mené à généraliser les oppositions d’une manière qui souvent renforce des normes sociales problématiques. Les courants féministes actuels proposent plutôt de brouiller les cartes de l’histoire moderne pour la rendre plus humaine.
Colonialisme et sexualité
Les documents d’It’s Pablo-matic abordent la question de l’appropriation culturelle (Picasso a été « influencé par d’innombrables artistes africains et de l’Océanie qui n’ont pas été mentionnés » et a commis « une appropriation flagrante de traditions culturelles sacrées ») et des pulsions sexuelles de Picasso (l’imagerie sexuelle de Picasso, « particulièrement quand elle dépeint la coercition et le viol, est troublante [disturbing] », mais « un artiste, même un homme narcissique et difficile, a le droit de puiser dans sa propre psyché sexuelle »). Cependant, Catherine Morris et Lisa Small ont préféré ne pas répondre aux questions de La Presse sur ces deux points.
À Montréal aussi
En 2018, le Musée des beaux-arts de Montréal avait déjà proposé une exposition sur Picasso, D’Afrique aux Amériques : Picasso en face-à-face, d’hier à aujourd’hui, qui invitait à la « décolonisation du regard ». Il s’agissait d’une exposition d’abord mise au point à Paris, intitulée Picasso primitif, à laquelle avaient été ajoutées des œuvres d’artistes africains contemporains.
Lisez notre texte sur l’exposition de 2018-
- 120 000
- Nombre d’œuvres de Picasso
Source : Picasso, l’inventaire d’une vie