Le Musée McCord Stewart rassemble pour la première fois en Amérique du Nord une quarantaine de colliers de wampum, ces ceintures fabriquées à partir de perles de coquillages marins qui ont servi à tisser des alliances entre nations autochtones, mais aussi avec les Français et les Anglais, du XVIIe au XIXsiècle.

« Quand on parle de 40 colliers, ça peut nous paraître peu, mais quand on sait qu’il en reste 200 à 250 dans le monde, c’est un bon pourcentage », nous dit Jonathan Lainey, conservateur Cultures autochtones au Musée McCord Stewart.

Mais à quoi servaient exactement ces « colliers de porcelaine » évoquant des foulards fabriqués d’abord par les nations iroquoiennes ? « Ils incarnaient la parole donnée à l’occasion d’ententes et d’alliances, explique Anne Eschapasse, présidente et cheffe de la direction du Musée McCord Stewart. Ils ont été transmis de génération en génération pour conserver et se remémorer les engagements passés. »

Coproduite avec le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac de Paris, qui possède une collection de 18 colliers, l’expo Wampum : perles de diplomatie met également en valeur la collection du Musée McCord, qui compte 13 colliers. Les autres objets de l’expo – wampums, mais aussi ornements, fusils, cartes, gravures, etc. – proviennent entre autres du Musée canadien de l’histoire, du Musée de la civilisation et de Parcs Canada.

À l’origine

C’est le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac de Paris qui a pris l’initiative de monter cette expo en 2019 à partir de sa collection de 250 objets datant des XVIIe et XVIIIsiècles, qui proviennent de l’Amérique du Nord, pendant la période du Premier Empire colonial français. À partir de cette collection, la cocommissaire française Paz Nuñez-Regueiro s’est concentrée sur les wampums, elle a donc pris contact avec Jonathan Lainey, historien né à Wendake, membre de la nation huronne-wendat, spécialiste du sujet.

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Jonathan Lainey, conservateur Cultures autochtones au Musée McCord Stewart

Guerre, paix et alliances

Parfois, les wampums évoquent la guerre, parfois la paix, ou encore les alliances. « Sur les wampums de guerre, on retrouve des haches rouges, pour signifier un état de guerre, précise Jonathan Lainey. À l’inverse, les wampums qui évoquent la paix ont été fabriqués sur un fond blanc, on y retrouve souvent un calumet. Les wampums qui symbolisent les alliances représentent des silhouettes humaines reliées par une chaîne, un sentier ou des mains tendues. »

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Les deux colliers de wampums qui se trouvent à la cathédrale de Chartres.

Cadeau à Chartres

Deux colliers de wampums qui se trouvent à la cathédrale de Chartres sont exposés à McCord. Un « don des Abénakis à la Vierge Marie », réalisé en 1699, qui contient 11 000 perles, ainsi qu’un collier huron-wendat daté de 1678, où l’on peut lire l’inscription latine « vœux des Hurons à la Vierge ». « Des wampums avec des écritures latines, entre 1654 et 1716, il y en a eu 10 ou 12 qui ont été fabriqués, la plupart d’entre eux ont été brûlés dans la chapelle de Wendake, nous dit Jonathan Lainey. Il en reste trois dans le monde, deux à Chartres, un au Musée du quai Branly, c’est la première fois que tous les trois se retrouvent sur leur territoire d’origine. Chartres leur a répondu par un reliquaire, qui se trouve également ici, je trouve ça émouvant. »

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Les wampums servaient donc à confirmer et à sceller des alliances.

Des wampums comme des procès-verbaux

Les wampums servaient donc à confirmer et à sceller des alliances. On parle donc d’ententes verbales, mais y a-t-il une trace écrite de ces ententes ? « Pour se retrouver dans leurs échanges avec leurs interlocuteurs autochtones, les Français numérotaient les wampums. Donc, quand on regarde la correspondance coloniale, il y a des minutes associées aux wampums [des procès-verbaux]. Depuis les années 1980, il y a une cinquantaine d’occurrences où les wampums sont mentionnés devant les tribunaux canadiens, comme des preuves de leurs droits passés. »

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Le chef Onondaga Isaac Hill Kaweneseronton, de la Confédération des Six Nations, avec un wampum à la main et un autre au cou, photographié en 1870

Un wampum britannique

Un des wampums exposés est de fabrication britannique. La preuve, selon les commissaires, que les Européens s’en servaient eux aussi dans leurs alliances avec les peuples autochtones. « Si on dit que ces wampums-là sont des témoins d’alliances internationales, par exemple le wampum où on voit la hache de George III, qui est une alliance militaire, c’est clair que cette alliance a permis l’établissement des Britanniques, nous dit le cocommissaire de l’expo Jonathan Lainey. En disant cela, je suis en train de dire que ces colliers de wampum sont des témoins d’alliances fondatrices au pays. C’est majeur ! »

Le dernier wampum ?

Vous pouvez également voir un wampum fabriqué à Kanesatake par trois nations autochtones, les Algonquins, les Népissingues et les Mohawks, qui ont offert le collier au pape Grégoire XVI en 1831. Il se trouve depuis au Vatican. C’est la première fois qu’il se retrouve ici, sur son territoire d’origine. Il est ici jusqu’au 5 décembre. « C’est probablement le dernier ou un des derniers wampums, indique Jonathan Lainey, parce qu’après la guerre de 1812, les wampums ne sont plus fabriqués dans des échanges internationaux diplomatiques. On s’y réfère, mais on n’en fabrique plus, l’écrit l’emporte sur l’oralité. »

Jusqu’au 10 mars 2024