Quel pouvoir l'art d'aujourd'hui réserve-t-il à l'imagination? C'est la question que pose le Musée des beaux-arts de Montréal en présentant, jusqu'au 27 mars, La terre est bleue comme une orange, une trentaine d'oeuvres contemporaines qui proposent une variété de réponses... passionnantes.

Le titre de l'exposition est le premier vers d'un poème du recueil L'amour, la poésie publié par Paul Éluard en 1929. Le poète français l'avait dédié à sa femme, Gala, qui rejoindra bientôt, à son corps défendant, un jeune peintre espagnol prénommé... Salvador Dalí.

On est à l'époque du surréalisme. Les artistes usent de leur imagination pour oublier l'épouvante de la Première Guerre mondiale et ses 10 millions d'Européens décimés de 1914 à 1918. Alors pourquoi ce titre, aujourd'hui? Parce qu'en 2010, les guerres, la corruption ou la crise des valeurs concourent à ce que des artistes recherchent des raisons d'espérer et traduisent ces espoirs en peintures, sculptures, photographies ou installations.

L'exposition installée dans une des galeries Liliane et David M. Stewart est un voyage dans l'imaginaire d'artistes canadiens et étrangers, imaginaire souvent décapant, engagé et libre.

Prêtée au musée par les collectionneurs Alexandre Taillefer et Debbie Zakaib, Le royaume de l'animal émancipé (2007) est une installation du duo canadien Duke & Battersby comprenant une vidéo d'images et d'animations et un tronc d'érable pesant une tonne sur lequel figurent des animaux empaillés (un renard, un lynx et un cerf de Virginie albinos). On peut s'asseoir sur le tronc d'arbre, m'a assuré M. Taillefer - contrairement à ce que prétend le gardien de sécurité -, aux côtés de ces animaux... pour regarder la télévision.

Tout près d'un des boîtiers de plexiglas de David Spriggs (Objet abstrait - 1977), Lunes rouges de Kiki Smith présente trois sphères de verre peintes couleur sang et installées sur le mur: comme un dialogue entre ces deux artistes inspirés par l'univers. Deux oeuvres de la Japonaise Tetsumi Kudo sont exposées, notamment Esclavage de conservation de l'espèce humaine: une cloche de plexiglas dans laquelle un monde symbolique est constitué d'un Christ en croix, d'éléments électriques et de coquilles d'escargots d'où émergent des formes phalliques en résine synthétique colorée.

Autre univers fantastique que celui du Norvégien Simen Johan avec son Sans titre no 133 (2005), de sa série Until the Kingdom Comes. L'impression numérique montre une bataille de deux originaux survolée par des perruches, le tout dans un cadre où contrastent le bois calciné d'une forêt et l'apparente quiétude d'un paysage de campagne.

Composée de carton, de matières synthétiques et métalliques, la maquette de Carlos Garaicoa, Yo nunca ha sido surrealista hasta el día de hoy, est une invitation à la réflexion sur le sens de la modernité. Les pylônes et les lampadaires sont-ils des arbres? Sans compter que cette profusion d'électricité nocturne «éclaire» le quotidien des Cubains sous embargo, avec leurs fréquentes coupures de courant.

Installations à contempler

Dans le genre maquette, deux installations méritent un regard attentif par le travail de précision dont elles témoignent. La première, Hamburg Project, de l'Albertaine Kim Adams, explore les liens entre monde industriel et vie urbaine au moyen de trois tours formées de conteneurs entre lesquelles la vie continue.

La deuxième maquette est une des pièces les plus intéressantes de l'exposition. Intitulée All You Can Eat, l'installation de Karine Giboulo est composée de trois îlots reliés entre eux et qui narrent, au moyen de personnages miniatures insérés dans des espaces d'habitation, des épisodes de la condition humaine en vie urbaine. Éloquent.

L'installation vidéo de la Cubaine Glenda León, qui expose jusqu'au 29 janvier à la galerie Pierre-François Ouellette Art Contemporain, s'intitule Cada respiro. Une ode à la liberté autant corporelle qu'intellectuelle sous de faux airs de repos et de sérénité avec cette femme allongée dans un champ près d'une mer qu'on suppose des Caraïbes. «Pour moi, travailler, c'est faire sortir mon agressivité», se plaît à dire Glenda León.

Dans le même style, à l'entrée de la salle, l'installation vidéo de Pipilotti Rist, Femmes de pluie (1999), dévoile petit à petit l'artiste suisse nue, couchée par terre dans une flaque d'eau, sous la pluie, un film projeté sur un mur contre lequel a été placé un comptoir de cuisine. On ne se lasse pas de regarder ces images dans la salle assombrie. Une exposition qu'il faut visiter la semaine de préférence, pour avoir le temps et le silence nécessaires pour l'apprécier et s'en imprégner...

La terre est bleue comme une orange, au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu'au 27 mars 2011.