C'est une révolte ou une révolution? C'est le printemps ou c'est l'été - et cela en plein mois de mars? C'est le début d'un temps nouveau, comme le chantait Renée Claude, ou la fin du monde selon le calendrier maya?

Toute cette effervescence rend nostalgique. Ça donne envie de potasser ses vieux livres de l'université, pendant que les rues sont prises d'assaut par les étudiants et que les hélicoptères font du bruit au-dessus de nos têtes.

Dans le département des études littéraires de l'UQAM dans les années 90, nous étions légion à se casser la tête sur les théories de Saussure, en se demandant c'était quoi le «trip» au juste.

Toujours est-il qu'il en reste quelque chose. D'avoir fréquenté la linguistique, le structuralisme, la sémiologie, ça vous transforme. Vous ne lisez plus et n'entendez plus de la même façon. Et cela ne s'applique pas seulement à la littérature, mais à tous les discours, dans la vie de tous les jours. Ces quelques notions qui restent sont très utiles quand le langage vire cul par-dessus tête.

Il existe des expressions populaires qui méritent réflexion. Par exemple, «il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas». On l'entend chaque fois que quelqu'un pogne les nerfs, celle-là. Dans une société totalitaire et muselée, c'est un acte de courage. C'est une prise de parole pour ceux qui se taisent dans la peur et son auteur prend tous les risques. Mais dans une société comme la nôtre, où l'opinion se déchaîne minute par minute dans les médias, les blogues et les réseaux sociaux, qu'est-ce que ça veut dire au juste? Et qui est inclut dans ce «tout le monde qui pense tout bas» ? De quel droit ceux qui usent de cette formule se sentent autorisés à inclure «tout le monde» dans leurs rangs? Surtout que la plupart du temps, cette formule sert à excuser des insultes, par exemple Stéphane Gendron qui traite les étudiants «d'hosties de puants sales» qui méritent la bastonnade.

Ces coups de gueule se terminent souvent par ce point final, censé clore tout débat: «C'est mon opinion.» À ce sujet, Jean-François Chassay, dans son récent essai La littérature à l'éprouvette, écrivait ceci: «La démocratie, dans son principe, est la possibilité pour tous de participer aux débats, en parfaite égalité de droit. Mais rien de plus étranger à une vraie démocratie que l'idée de dire n'importe quoi et de se retrancher de la discussion sous prétexte d'intégrité, c'est à dire d'un droit à ne pas être ébranlé par les propos des autres, de crainte que cela crée des fissures dans nos Vérités.»

Qui pense tout bas de nos jours dans cette cacophonie perpétuelle? La véritable peur est bien plus de ne pas être entendu. Alors on crie, et ça dérape vite, avec réaction immédiate, ce qui confirmerait une sorte de censure. Pourtant, la conscience et la responsabilité sociale devraient beaucoup plus s'exercer à répliquer à la connerie qu'à faire de la liberté d'expression une incontinence personnelle.

Ce qui pourrait expliquer aussi qu'on ait l'ignorance heureuse, le mépris fier et l'intolérance décomplexée. On dit tout haut ce qu'on pense tout bas, voyez! «C'est mon opinion!» On ne se demande jamais si ce qu'on pense tout bas ne viendrait pas plutôt de notre bassesse. Notamment lorsqu'on s'exprime anonymement, bien caché derrière un ordinateur, sur le coup de la colère, sans réfléchir. Mais puisque c'est sincère, ce doit être vrai. C'est incroyable à quel point, «les vraies affaires» qu'on nous sert sont toujours sinistres. On n'a jamais entendu quelqu'un, précédant son discours de cette formule usée à la corde, «il faut se dire les vraies affaires», nous annoncer quelque chose de beau, de gentil. Les «vraies affaires» concernent toujours le fiel, la rancoeur et la frustration.

Eh bien, jeudi, lors de la manifestation monstre contre la hausse des droits de scolarité, nous avons vu des gens dire tout haut ce qu'ils ne pensent pas tout bas, dans une démonstration bien plus efficace que l'opinion: l'action.

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