Il y a une scène saisissante dans la nouvelle série de Disney+ – j’insiste sur le « plus » – Pam & Tommy, à propos de la fameuse vidéo maison explicite du couple Pamela Anderson-Tommy Lee, qui a ouvert l’appétit du public pour les sextapes de célébrités, au milieu des années 1990.

Le batteur du groupe de glam métal Mötley Crüe est flambant nu chez lui, debout dans la salle de bains, alors que la vedette de Baywatch l’attend au lit. C’est à ce moment qu’il engage une conversation… avec son pénis.

Son sexe, incarnation de sa conscience dans un dilemme moral (comme le diablotin au-dessus de l’épaule dans les dessins animés), soupèse le pour et le contre de ses propositions indécentes. Et lui répond. Le gland en gros plan. Son méat urinaire articulant chaque syllabe.

C’est surréaliste. J’ai vu la scène il y a plus d’une semaine et je n’ai pas encore tranché : s’agit-il de la séquence la plus ridicule ou la plus outrancièrement comique que j’ai vue à la télévision depuis le cheval blanc lumineux de la série Félix Leclerc ? Peut-être les deux.

Pam & Tommy ne sera offerte sur Disney+ – j’insiste cette fois sur « Disney » – que le 2 février. Mais je parie que je ne serai pas le seul à parler de cette verge verbeuse d’ici là…

La série, cela dit, est moins burlesque que ne laisse présager cette scène malheureusement inoubliable. Elle s’articule autour d’un fait divers rocambolesque, mais s’intéresse aussi au regard bien différent que l’on porte, aujourd’hui comme hier, sur la sexualité de l’homme et de la femme.

Je ne connaissais pas les détails du fait divers. Si vous craignez le divulgâchage et comptez regarder la série, ne lisez pas les deux prochains paragraphes.

En 1995, un menuisier du nom de Rand Gauthier a été congédié cavalièrement par Tommy Lee alors qu’il rénovait sa maison de Malibu, peu après son mariage impromptu avec la comédienne Pamela Anderson sur une plage mexicaine. Lee a refusé de rembourser les milliers de dollars qu’il devait à Gauthier, et l’a ensuite menacé à la pointe d’un fusil lorsque l’ouvrier a voulu récupérer ses outils.

Gauthier, pour se venger, a volé le coffre-fort de Lee, dans lequel il a trouvé par hasard, parmi des bijoux et des armes à feu, une vidéo maison laissant peu de place à l’imagination. Gauthier s’est associé à un producteur de films XXX avec lequel il avait déjà tourné comme acteur porno, afin de commercialiser le sextape. Il ne se doutait pas que le web, alors à ses balbutiements, allait s’en emparer.

Dans le rôle de Rand Gauthier, avec une coupe Longueuil déjà datée pour l’époque, Seth Rogen est très divertissant. La Britannique Lily James est méconnaissable en Pamela Anderson et Sebastian Stan, le Winter Soldier des films de Marvel, est assez convaincant dans son interprétation peu flatteuse de Tommy Lee.

La série met en lumière l’humiliation ressentie par Pamela Anderson qui, au même moment, ratait avec le navet Barbwire ce qu’elle espérait être le début d’une carrière au cinéma.

La Canadienne fut pendant des mois la tête de Turc des animateurs de talk-shows de fin de soirée, qui n’ont eu de cesse de rappeler qu’elle avait déjà été « révélée » par Playboy. En revanche, le fait que Tommy Lee ait pu activer le klaxon de son yacht avec son bas-ventre (sans les mains, dans la vidéo) ne lui a valu que des high five. Deux poids, deux mesures.

Pam & Tommy recadre le récit à l’avantage de Pamela Anderson, qui en a certainement le plus souffert. Il n’en demeure pas moins que Disney, par sa filiale Hulu, s’apprête à présenter une série de huit épisodes de près d’une heure inspirée par une vidéo explicite de huit minutes.

On a beau parler du premier sextape de célébrités à devenir « viral » sur le web – bien avant ceux de Paris Hilton ou de Kim Kardashian –, du patient zéro d’une épidémie mondiale de téléréalités mettant en scène des gens connus (ou présentés comme connus, au Québec), la question se pose : cette histoire nécessitait-elle huit heures pour être bien racontée ?

Il me semble que non. Cette tranche de vie peu banale, qui témoigne d’une époque foisonnante dans la culture populaire, au croisement de la révolution numérique et de la déliquescence du hair metal, aurait pu être résumée dans un film bien tassé d’une heure et demie.

Je me fais souvent cette réflexion depuis quelque temps : qu’est-ce qui justifie que tel récit soit une série plutôt qu’un film, et vice-versa ? And Just Like That…, la suite de Sex and the City, aurait-elle été moins pénible au cinéma ? Carrie Bradshaw aurait porté moins de chapeaux ridicules en toutes circonstances, mais à la lumière des films tirés de la série originale, la réponse est non.

L’occasion fait le larron. Depuis deux ans, nous sommes plus ou moins captifs de la télévision. Prisonniers des algorithmes des plateformes numériques les plus populaires. On se rabat souvent sur ce qui nous est proposé en premier lieu, sans chercher plus loin. Et c’est rarement un film iranien comme l’excellent Un héros, d’Asghar Farhadi (sur Prime Video depuis vendredi).

La tentation du télégavage n’a jamais été plus forte. C’est une drogue facilement accessible. Stopper sa roue nécessite un effort et nous sommes las. Moi le premier. Pourquoi ai-je regardé Pam & Tommy jusqu’au bout ? Pour pouvoir en tirer cette chronique, certes, mais aussi, machinalement, pour combler le vide.

Il faut pourtant avoir le réflexe – et les moyens ; parce que tout ça finit par coûter cher – d’aller voir plus loin que Netflix. J’ai vu cette semaine un documentaire fascinant sur la collectionneuse d’art Peggy Guggenheim, grâce à la plateforme québécoise ARTS.FILM, liée au Festival international du film sur l’art.

J’ai aussi revu, grâce à la plateforme Éléphant, Parlez-nous d’amour, satire grinçante du regretté Jean-Claude Lord sur l’univers des médias et du vedettariat. Un film de 1976 qui, comme Pam & Tommy, traite en filigrane de la conception que l’on se fait de la sexualité des hommes et des femmes, à diviser entre « tombeurs » et « traînées ». Et qui nous rappelle à quel point certaines choses ne changent pas vite.