On m’avait prévenu : Lorraine Palardy est une véritable dynamo. Celle qui a largement contribué à faire naître et grandir Les Impatients n’a rien perdu de son énergie légendaire. Et de ses convictions.

Alors que l’on souligne le 30e anniversaire de cette fondation, dont le mandat est de conjuguer expression artistique et santé mentale, j’ai souhaité la rencontrer. Je n’ai pas été déçu.

« Cette aventure m’a fait vivre tellement de choses. Mais je me souviens d’une Impatiente qui m’avait dit juste avant une exposition où l’on voyait une de ses œuvres : “Je suis tellement contente que mes parents viennent, car ils vont voir que je ne suis pas juste bonne à prendre des pilules.” Cette phrase m’a bouleversée, car elle donnait un sens à ce qu’on a voulu faire. »

L’aventure des Impatients, née d’un « hasard de la vie », selon Lorraine Palardy, trouve ses origines au début des années 1990. « Le projet devait durer 10 jours. J’étais présidente d’une association de galeries d’art contemporain. On m’avait demandé d’organiser une levée de fonds pour la Fondation des maladies mentales. Le concept reposait sur une exposition d’œuvres réalisées par des patients de Louis-H.-Lafontaine. »

Quand Lorraine Palardy découvre le petit atelier temporaire qui avait été créé pour les bénéficiaires de l’institution, elle est renversée.

Ce fut un choc à la fois esthétique et humain. Je voyais des gens qui n’avaient rien dans la vie, selon notre conception des choses, qui étaient lourdement atteints par des maladies mentales et qui créaient des œuvres montrant des soleils, des maisons ou des symboles de leur enfance. Ça m’a bouleversée.

Lorraine Palardy

Lorraine Palardy, qui ne connaît alors rien aux maladies mentales et à l’art brut, décide de s’investir à fond dans un projet qui offrirait une meilleure structure à cet alliage de l’art et de la santé mentale. Au début, elle appelle cela la Fondation pour l’art thérapeutique et l’art brut du Québec.

Mais en 1999, elle décide de rebaptiser l’organisme. « Ce nom est venu à la fin d’un long remue-méninges, se souvient-elle. Vers minuit, quelqu’un a dit : “Ça va s’appeler Les Impatients !” On voulait sortir de la notion du patient qui attend passivement des soins. On a aussi pensé à l’impatience, cette fleur qui pousse à l’ombre. Quand tu souffres d’une maladie mentale, il faut que tu sois fait fort. Tu es souvent oublié, mis de côté. »

Lorraine Palardy multiplie les éloges quand vient le temps de parler de celle qui a offert un appui indéfectible à la fondation, Clémence DesRochers. Cette dernière était déjà porte-parole des Femmeuses, une expo-vente d’œuvres d’artistes féminines organisée chez Pratt & Whitney au profit de centres d’hébergement pour femmes et dont Lorraine Palardy était aussi coordonnatrice.

« Clémence a été extraordinaire, car elle a embarqué dès le début, dit Lorraine Palardy. Elle a compris le sens de cela, ce qui n’était pas si évident au départ. On nous disait de nous associer à un hôpital ou à des commissions scolaires. Nous, on voulait une fondation qui allait coordonner ces ateliers. »

Au début, il a fallu organiser toutes sortes d’évènements, dont les fameux bingos, car le financement ne venait que du secteur privé. « La santé nous disait d’aller voir du côté des arts, et les arts nous disaient d’aller voir la santé. »

PHOTO DENIS GERMAIN

Lorraine Palardy compte rendre hommage à Clémence DesRochers, qui a œuvré comme bénévole auprès des Impatients de 1995 à 2019.

Aujourd’hui, Les Impatients bénéficient de sources de financement diverses. La fondation est présente dans 14 villes du Québec. À Montréal seulement, on retrouve six ateliers qui accueillent des gens de tous les milieux aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Lorraine Palardy remarque que le profil des personnes qui fréquentent les ateliers a changé au cours des années. On accueille maintenant plus de jeunes de la DPJ. « La société a changé et le milieu de la santé aussi. Les spécialistes de la santé mentale savent que l’art ne fait pas juste du bien. L’art suspend le tragique de l’existence. »

Même si elle continue de faire du bénévolat pour Les Impatients, Lorraine Palardy a pris sa « retraite » il y a huit ans. Elle a laissé les rênes de la gestion à son fils Frédéric. « C’est fatigant de jouer à la quêteuse officielle. Mon fils s’attelle à multiplier les ateliers. Cela dit, on a grandi de façon inimaginable en 30 ans. »

Chez Les Impatients, on se plaît à dire qu’on ne connaît pas les diagnostics des gens qui viennent aux ateliers. Cela n’est pas important.

On ne traite pas une maladie, on accueille une personne. C’est fascinant de voir qu’il n’y a pas de mimétisme dans les œuvres qu’ils réalisent. Il y a une écriture directe. C’est ce qu’ils pensent, c’est ce qu’ils ressentent, en dehors de toutes les modes. Et ça fait du bien à tout le monde, à ceux qui en font et à ceux qui en voient.

Lorraine Palardy

La meilleure façon de s’en rendre compte est d’aller voir l’exposition qui sera présentée à compter du 6 mai, à la galerie 1700 La Poste. On pourra y voir une sélection d’œuvres puisées à même la collection de 15 000 pièces que Les Impatients ont réunies au cours des dernières décennies.

Plutôt que de privilégier la quantité et la diversité, on a eu la bonne idée de faire des choix d’artistes dont le travail montre la force de frappe des Impatients. Je vous avoue que j’ai eu quelques moments de grande émotion.

Comment ne pas être bouleversé devant les dessins de Philippe Lemaire montrant tous la même chose : la voiture de son père qui venait le chercher à l’hôpital où il séjournait ? Cet élan obsessionnel montre 65 fois « le char de son père ». En réalité, l’artiste l’aurait dessiné près de 300 fois. On comprend par là qu’il ne vivait que pour les visites du paternel.

PHOTO FOURNIE PAR LES IMPATIENTS

Dessin de Romain Peuvion inspiré par le thème du piano

Comment rester de glace devant les dessins de Romain Peuvion inspirés par le thème du piano ? Témoin de l’Occupation allemande à 14 ans, Peuvion a immigré au Québec. Atteint d’une forme grave d’autisme, on l’a cru muet pendant des années. C’est en suivant les ateliers des Impatients qu’il a retrouvé l’usage de la parole.

La veille de l’ouverture, le 5 mai, un hommage sera rendu à Clémence DesRochers au cours d’un évènement spécial. « Elle s’est un peu retirée aujourd’hui, dit Lorraine Palardy. Mais on a encore besoin d’elle. C’est elle qui porte l’esprit des Impatients. »

Alors, si vous voulez faire plaisir à Clémence, allez voir cette exposition. C’est vrai qu’elle vous fera du bien.

Exposition Enchanté·e ! Regard sur trente ans de création et d’espoir. Du 6 mai au 19 juin, au 1700 La Poste.

https://www.impatients.ca

https://1700laposte.com