Je n’ai jamais eu l’âme d’une groupie, mais j’ai quand même des préférés. Depuis #metoo, je regarde les vedettes tomber les unes après les autres sans trop m’émouvoir. Ce qui m’impressionne, c’est le nombre. On dirait une épidémie, mais nous comprenons de plus en plus qu’il s’agit en fait d’une culture de l’agression et de l’impunité qui dure depuis longtemps, d’un abus dans les rapports de pouvoir. Normal que ce genre d’histoire sorte régulièrement depuis qu’on n’accepte plus des comportements toxiques qu’hier on tolérait, en particulier lorsqu’il s’agit de personnalités publiques.

N’empêche, quand un artiste chute, j’ai chaque fois une petite pensée pour ses fans. Parce que j’avoue que dans certains cas, il m’arrive de dire : « Non, pas lui aussi ! »

Personnellement, si Thom Yorke de Radiohead était accusé de crimes, j’aurais de la difficulté à m’en remettre, parce que je ne peux pas me passer de la musique de Radiohead.

J’ai ressenti un peu ça avec Win Butler, du groupe Arcade Fire, qui vient d’être accusé d’inconduites sexuelles par quatre personnes dans une enquête de Pitchfork.

Des allégations qu’il réfute en bloc, expliquant dans une déclaration qu’il vit un couple « ouvert » avec Régine Chassagne, tout en s’excusant d’avoir pu causer du tort à des personnes par ses agissements, quand une dépression l’a plongé dans l’alcoolisme après la fausse couche de sa partenaire. En proposant pour sa défense de parler à plusieurs femmes avec qui il a eu des relations sexuelles consentantes, et à qui il envoyait parfois des sextos, on se pose des questions sur sa relation avec les groupies.

Entre vous et moi, je n’ai jamais compris pourquoi des célébrités envoient des photos de leur pénis à des inconnues sans craindre que ça devienne public, mais c’est peut-être parce que je suis d’une autre génération.

En tout cas, je croyais que Win Butler était au-dessus de ce cliché, de ce rapport avec les fans, et je ne m’attendais pas à ce que Régine Chassage se range à ses côtés, mais bon, je suis probablement naïve comme peut l’être une fan.

En fait, je me fous un peu de Win Butler, c’est Arcade Fire que j’aime, les gens qui ont créé tout ça. J’adore leur musique, j’ai écouté leurs albums en boucle, j’ai vu leurs spectacles dans une joie absolue, ils étaient de formidables ambassadeurs de Montréal. Je fréquentais le sympathique restaurant haïtien Agrikol de la rue Atateken (aujourd’hui fermé) auquel le couple était associé depuis sa création avec des partenaires. Il y a quelques années, je les avais croisés à Jacmel, en Haïti, avant la sortie de l’album Reflektor, et j’avais patienté jusqu’à tard dans la nuit à l’hôtel Florita, au grand dam de mes amis fatigués, car Arcade Fire allait offrir une performance improvisée pour la poignée de personnes qui étaient encore là. Une nuit rien de moins que magique, que jamais je n’oublierai.

J’avais bien sûr l’intention d’acheter des billets pour le spectacle en décembre à Montréal et… l’article de Pitchfork est arrivé, quasiment la veille du début à Dublin de la tournée mondiale WE. Le groupe a décidé d’aller de l’avant malgré la tempête, alors que les appels à l’annulation et au remboursement de billets se multiplient. L’ambiance de communion, c’est l’une des forces des spectacles d’Arcade Fire, que va-t-elle devenir ?

On est bien embêté quand un artiste au sein d’un groupe qu’on aime est dénoncé. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Le groupe au complet doit-il payer pour les dérives de l’un de ses membres ? Doit-il le protéger ou s’en dissocier ? Doit-on y aller ou pas ?

Win Butler est le leader du groupe, et le couple qu’il forme avec Régine Chassagne est au cœur de la magie et de l’image d’Arcade Fire. On se doutait bien que Butler ne se prenait pas pour un Seven-Up en lisant certaines entrevues, et plusieurs journalistes le trouvaient imbuvable, mais c’est le résultat du travail collectif qui comptait pour les admirateurs.

Qu’on sache que les musiciens d’un band comme Motley Crüe passent leurs nuits avec des groupies fait probablement grimper la vente des billets chez leurs fans, mais le public d’Arcade Fire a adhéré à l’image d’un groupe qui se voulait authentique, indépendant, engagé, et qui nous faisait parfois la morale dans ses chansons. Mais quand on aime la musique, on oublie souvent les paroles.

Il n’est pas certain que ce public-là va recevoir les frasques de Win Butler comme si ça allait de soi avec le mode de vie « sexe, drogue et rock’n’roll », parce qu’on pardonne plus à ceux qui ne projettent pas une image de sainteté, comme Éric Lapointe. Mais ça semble s’être bien passé à Dublin mardi soir.

Win Butler et Régine Chassagne peuvent bien être un couple ouvert, fluide ou polyamoureux, tout en étant mariés et parents. Au fond, c’est leur vie privée. Mais je dois admettre que l’article de Pitchfork a pété ma balloune de groupie (et mon petit cœur de romantique), parce que ce n’est pas ça qu’ils imposaient comme image. Les groupies vivent sur une balloune, c’est ça le bonheur d’aimer un groupe. Et sans cette balloune, je me demande comment Arcade Fire va continuer de flotter sur ses sommets.