Ceux qui, comme moi, regrettent de ne pas avoir vu la toute première production de Starmania, en 1979, seront heureux d’apprendre que la nouvelle création présentée en grande première mardi à Paris reprend enfin la structure d’origine.

On peut y entendre plusieurs chansons qu’on avait remisées dans des malles au cours des dernières années, de même que des récitatifs qui servent de liens entre les tableaux.

J’ai beaucoup écouté le coffret de quatre disques enregistrés il y a 43 ans et je peux vous dire que c’est cette version (longue de trois heures) que le metteur en scène Thomas Jolly a décidé de porter à la scène.

Cela fait ressortir davantage l’aspect opéra rock de l’œuvre (les chanteurs ont recours à des micros sans fil), plutôt que le côté comédie musicale ou spectacle musical qu’on a tenté de propager par la suite.

Des liens avec le passé se font également dans le choix des interprètes. Comment ne pas songer à Daniel Balavoine quand monte la voix de Côme ou à France Gall quand on entend Lilya Adad dans le rôle de Cristal ? Parlant de France Gall, un hommage lui est rendu durant le spectacle, de même qu’à Michel Berger. Je ne vous en dis pas plus.

Cette production de 7 millions d’euros est absolument grandiose. Les éclairages sont à couper le souffle. Les nombreux faisceaux (plusieurs dizaines de projecteurs émergent du sol) créent des formes architecturales qui symbolisent le Monopolis imaginé par Luc Plamondon.

Nul besoin de vous dire que lorsque j’ai appris que la plupart des artistes étaient des émules de Star Académie et de La voix, j’ai craint d’assister à un gala télévisé du dimanche soir. Il n’en est rien. Ils ont été bien dirigés et chacun apporte de la créativité à son personnage.

Des huit interprètes, je retiens Alex Montembault, qui offre une Marie-Jeanne bouleversante.

Pourtant, sa première chanson, La serveuse automate, n’a pas réussi à me convaincre. Sans doute que le trac de la première a fait son œuvre. Mais plus tard, avec Ziggy, Alex a facilement mis tout le monde dans sa poche.

Magali Goblet, dans le rôle de Stella Spotlight, est l’une des révélations du spectacle. Sa voix est voilée au moment opportun et cristalline à d’autres moments. Il ne fait aucun doute qu’on entendra beaucoup parler de cette formidable chanteuse au cours des prochains mois.

Depuis le début des représentations, il a beaucoup été question du Québécois David Latulippe, qui porte sur ses épaules le personnage de Zéro Janvier. Le public l’applaudit à tout rompre tous les soirs, et avec raison. Son Blues du businessman est l’un des moments forts de la soirée. Il est sur l’immense plateau de La Seine Musicale, où est présenté le spectacle, comme un poisson dans l’eau.

Je continue d’être chauvin en soulignant l’excellente performance de Miriam Baghdassarian (dans le rôle de Sadia), une autre artiste qui assure une solide présence québécoise au sein de cette distribution très jeune.

Il faudra voir au cours des prochaines semaines comment Gabrielle Lapointe, qui interprète Cristal en alternance avec Lilya Adad, se tire d’affaire. De même que William Cloutier, qui est la doublure de Côme pour le rôle de Johnny Rockfort.

Si Thomas Jolly a été très respectueux du livret et les musiciens, du son d’origine créé par Michel Berger, quelques libertés ont été prises. Et pour le mieux. Ainsi, on ne termine pas ce conte apocalyptique avec Le rêve de Stella Spotlight, mais avec Le monde est stone. Un choix judicieux.

Cette finale, qui survient après l’effondrement d’une tour, est à faire pleurer. Alex Montembault chante ce classique dans une pluie de poussière (on dirait des oiseaux) qui n’est pas sans rappeler celle qui a suivi la chute du World Trade Center.

Je vous ai parlé plus tôt cette semaine de La Seine Musicale, ce complexe en forme de vaisseau situé à Boulogne-Billancourt. Ceux qui seraient tentés de venir voir Starmania à Paris au cours des prochains mois doivent savoir que l’endroit est loin du centre de Paris et qu’une planification pour le transport est recommandée.

Cette production a visiblement été imaginée pour cette salle ultramoderne de 4000 sièges et les Zénith en province. Arriverons-nous à conserver l’entièreté des éléments de décor et des effets d’éclairage lorsque le spectacle sera présenté chez nous ? Cela reste à voir.

Mais au-delà de ces artifices, il reste que l’équipe de créateurs et d’artistes démontre que cette œuvre traverse admirablement bien le temps. L’accueil qu’a réservé le public parisien au spectacle laisse présager de beaux jours.

Luc Plamondon, présent mardi soir parmi un nombre impressionnant d’amis québécois (Isabelle Boulay, Diane Juster, Clémence DesRochers, Fabienne Thibeault, etc.), avait toutes les raisons du monde d’être heureux.

Son œuvre continue de grandir. Et de dire des choses. Qu’est-ce qu’un créateur peut demander de plus ?