La chose n’a pas chamboulé la vie du « grand public », mais depuis le 1er janvier dernier, la Loi sur le droit d’auteur n’est plus tout à fait la même. La protection générale des œuvres originales de nature littéraire, dramatique, musicale ou artistique est passée de 50 à 70 ans après la mort du créateur.

Cela veut dire que les œuvres qui s’apprêtaient à entrer dans le domaine public le feront dans 20 ans. Celles qui venaient d’y entrer ne pourront toutefois pas bénéficier de cette prolongation.

C’est une excellente nouvelle pour les héritiers ou les ayants droit des créateurs. Cette période prolongée de protection des œuvres rejoint celle de nombreux autres pays qui avaient déjà adopté le principe de « vie plus 70 ans ».

On vient donc régler un problème de disparité entre les pays. Un exemple de cela ? Les pièces d’Albert Camus, mort en 1960, étaient dans le domaine public chez nous, mais ne l’étaient pas ailleurs, notamment en France. En adoptant la règle des 70 ans, on uniformise ce genre de situation.

Qu’est-ce que ça change concrètement pour les ayants droit qui gèrent les œuvres d’artistes visuels, musicaux ou littéraires ? En substance, les œuvres dont ils ont les droits ne peuvent être exploitées ou altérées pendant sept décennies à moins d’une autorisation spéciale.

L’avocat François Le Moine est spécialisé en droit de l’art et de la propriété intellectuelle. Il a accepté d’éclairer ma lanterne. « Une œuvre qui est dans le domaine public appartient à tout le monde. Quand un orchestre interprète un concerto de Mozart, il n’a aucune redevance à verser. On peut la déformer et la modifier, car il n’y a pas de droits moraux. Avec ce changement, les œuvres seront protégées plus longtemps. »

Ce changement à la loi aura notamment des répercussions sur le travail des artistes contemporains qui utilisent des œuvres existantes pour créer. Ils devront faire preuve de vigilance. Nous vivons en effet une période où de nombreux créateurs exploitent des fragments d’œuvres réalisées par d’autres artistes, comme l’échantillonnage (sampling) dans les chansons.

La Loi sur le droit d’auteur dit qu’on ne peut reproduire une « partie substantielle » d’une œuvre sans autorisation. « Plusieurs artistes croient qu’un extrait de deux ou trois secondes d’une pièce musicale n’est pas une partie substantielle, explique François Le Moine. Il y a peu de décisions au Canada qui définissent jusqu’au où on peut aller dans la reproduction d’une petite partie. »

Ce flou apparaît également en matière de nouvelle utilisation d’une œuvre dans une cause qui implique l’artiste américain Andy Warhol. En 1984, le pape du pop art avait coloré à la manière de ses œuvres de Marilyn Monroe ou de Mao une photographie du chanteur Prince réalisée par Lynn Goldsmith.

Le résultat, montrant Prince avec la peau violette et les cheveux noirs, sur un fond orange vif, fut publié dans le magazine Vanity Fair et portait la mention de la photographe.

Mais quelle ne fut pas la surprise de Mme Goldsmith de découvrir après la mort du chanteur, en 2016, une sérigraphie (faisant partie d’une série de 16) basée sur sa photographie (toujours dans le magazine Vanity Fair), mais sans que son nom apparaisse et sans qu’elle reçoive de redevance. Le travail de la photographe avait été entièrement effacé par les changements apportés par Warhol.

La cause a récemment été entendue par les juges de la Cour suprême des États-Unis. Leur décision (très) attendue devrait clarifier le droit de la propriété intellectuelle en matière d’œuvres dites « transformatives ».

La Loi sur le droit d’auteur englobe deux aspects : les droits économiques, qui permettent de monnayer l’utilisation ou la diffusion d’une œuvre, et les droits moraux, qui protègent la personnalité du créateur. En d’autres mots, si vous êtes propriétaire d’une œuvre de Kittie Bruneau ou de Corno, vous n’avez pas le droit de l’altérer ou de la mutiler et de l’exposer dans un lieu public (musée, galerie).

« L’artiste pourrait dire que cette exposition va à l’encontre de sa réputation, reprend François Le Moine. Il pourrait s’opposer à cela, même si l’œuvre ne lui appartient plus. »

La loi encadre également l’exploitation et la reproduction des œuvres et permet qu’un artiste ne voie pas son œuvre associée sans autorisation avec une cause ou un produit. Un cas récent est celui de la Fondation Vuitton, à Paris, qui présente une exposition de la peintre américaine Joan Mitchell. La maison de luxe a publié des photos de l’actrice Léa Seydoux avec un sac à main de la marque devant des tableaux de l’artiste pour en faire des publicités diffusées sur le web.

La Fondation Joan Mitchell, ayant droit de la peintre, a mis en demeure Vuitton et l’accuse de « reproduction et utilisation non autorisées et illégales ».

Cette refonte de la loi canadienne sur le droit d’auteur est un pas de géant. Mais le monde des arts espérait beaucoup plus, notamment qu’une décision soit prise en ce qui a trait au droit de suite, qui permettrait aux artistes ou à leurs ayants droit de toucher un pourcentage lors de la revente de leurs œuvres.

Un auteur qui publie des romans avec des ventes satisfaisantes et qui reçoit un jour un prix prestigieux verra sans doute la vente de ses livres grimper en flèche. Il touchera bien entendu les redevances liées à ce succès. Mais cela n’est pas possible pour un artiste visuel au Canada. Lorsque ses œuvres sont revendues à une tierce personne par l’intermédiaire d’une galerie ou d’une vente aux enchères, il ne perçoit absolument rien.

IMAGE TIRÉE DU SITE DU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL, COLLECTION GRAPHIC ARTS

The Enchanted Owl, de Kenojuak Ashevak, a initialement été vendu pour la somme de 24 $. En 2018, l’œuvre a été revendue pour la somme de 185 500 $, mais l’artiste n’a reçu aucune redevance.

Ce principe est appliqué dans près de 90 pays, mais il tarde à être adopté chez nous. Cette demande était pourtant incluse dans les lettres de mandat du premier ministre Justin Trudeau remises aux ministres Pablo Rodriguez (Patrimoine canadien) et François-Philippe Champagne (Innovation, Sciences et Industrie).

Il faudrait dans un premier temps déterminer dans quel type de vente les droits de suite seraient appliqués (ventes aux enchères, ventes privées, ventes en galerie, etc.). Mais surtout, établir le pourcentage qui serait offert aux artistes lors de la revente.

Le front des artistes canadiens (CARFAC), qui milite depuis des années pour l’obtention du droit de suite, cite cet exemple tout à fait éloquent dans un document. L’artiste Kenojuak Ashevak a vendu initialement son œuvre The Enchanted Owl pour la somme de 24 $. En 2018, l’œuvre a été revendue pour la somme de 185 500 $. Si l’artiste avait touché 5 % de la transaction, elle aurait reçu 9275 $.

Alors, qu’attendons-nous pour mener à terme cette révolution ? La qualité de vie de nos artistes (surtout âgés) en dépend.