L’ironie est un procédé humoristique. Ce qui est ironique, c’est un humoriste qui encaisse mal la blague d’un autre humoriste. Une blague sur lui, sur ses semblables, sur sa génération.

L’ironie, c’est Guy Nantel qui reproche à Katherine Levac de ne pas être assez drôle parce qu’elle s’est moquée de lui au Gala Les Olivier. Alors que l’humour de l’animatrice a été largement plébiscité et que les cotes d’écoute à la hausse de la cérémonie en témoignent. C’est l’ironie du mauvais perdant. Guy Nantel s’y connaît en la matière.

Dans son monologue d’ouverture, Kat Levac a ironisé sur Nantel, qu’elle a décrit comme n’étant « pas la personne la plus inclusive sur la Terre ». « Chacun son rythme ! », a-t-elle ajouté, en feignant de défendre l’ex-candidat à la direction du Parti québécois. Je me suis esclaffé autant qu’Erich Preach dans son siège de la salle Pierre-Mercure.

« Certains gagneraient [à] être un peu moins inclusifs et un peu plus drôles », a aussitôt répliqué sur Twitter Guy Nantel, provoquant une fois de plus l’hilarité générale chez les milléniaux. Il est vrai que Kat Levac a peu de mérite. À la défense de Nantel, c’était trop facile. Les blagues sur lui s’écrivent toutes seules.

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Guy Nantel lors de la première de son spectacle Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire… au Théâtre Maisonneuve de la Place des Art, à Montréal, en octobre dernier

L’homme blanc de 50 ans – c’est ainsi que Kat Levac a présenté Guy Jodoin – en a pris pour son rhume dimanche. Maude Landry a évoqué le « grainage » de verres gaspésien (en référence à Kevin Parent). Math Duff a parlé du dentier de Râteau, le personnage de Jean-Michel Anctil. Et Carole (Silvi Tourigny) a imité le fameux numéro du saxophone d’André-Philippe Gagnon et a ainsi qualifié le duo Dominic et Martin : « Ça, c’est 30 ans d’innovation, de dépassement, de création… »

Kat Levac a regretté que sa blonde, la cinéaste Chloé Robichaud, soit contrainte de soumettre pendant des années quantité de demandes de subventions et de versions remaniées de ses scénarios « pour se faire dire : Sorry ! On préfère financer Camping sauvage 2 ». C’est drôle parce que c’est (presque) vrai, comme le veut le cliché.

Le 24e Gala Les Olivier, comme l’ont remarqué mes collègues Hugo Dumas et Dominic Tardif, a consacré une nouvelle génération d’humoristes. Une « nouvelle vague », comme l’a décrite le roi de la soirée, Pierre-Yves Roy-Desmarais, qui s’est allègrement payé la tête de l’ancienne. C’est de bonne guerre. Les jeunes se moquent des vieux depuis la nuit des temps, et ils ne le font pas toujours en s’excusant. Vous en parlerez à mes ados.

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Pierre-Yves Roy-Desmarais

Je suis de la génération RBO, groupe irrévérencieux à souhait envers les artistes plus vieux, qui a fini par composer une chanson pour demander pardon à quelques-unes de ses têtes de Turc (Belgazou, Roger Michael, Michel Louvain, Guy Boucher). La bande de Guy A. Lepage s’excusait aussi auprès de Mitsou. « Pardon, pardon, Mitsou / De t’avoir traînée dans la boue / D’avoir dit que ta matière grise / Se concentrait sous ta chemise. »

C’est à ce genre de texte humoristique, courant dans les années 1990, que s’attaquait dimanche l’inénarrable numéro du duo « Pat pis Mat » (Virginie Fortin et Arnaud Soly). Avec leurs culottes de cuir et leur coupe Longueuil, ils se moquaient des jokes de mononcle de Piment fort et de Testostérone.

« Dans notre temps, les p’tites rousses animaient pas les galas, mais elles nous attendaient dans la loge après ! », a dit Pat (Virginie Fortin) avant d’entonner L’humour, c’était mieux avant. « De quessé qu’on peut rire, c’est vraiment pu clair / Avant j’faisais deux heures de jokes sur ma belle-mère », a chanté Mat. « Astheure tous les bons gags se font censurer », a ajouté Pat. « On s’excusait pas de nos mains baladeuses, a rappelé Mat. Y avait pas de victimes, y avait juste des chanceuses. »

Un chœur d’enfants déguisés en personnages d’humoristes des années 1980 et 1990 (Oncle Georges, Ti-Mé, Hi ! Ha ! Tremblay, etc.) a chanté « Merci la gosse de Maxim Martin », avant que le duo ne reprenne avec entrain le refrain : « L’humour c’était mieux avant / Quand on était juste huit gars blancs… pis Marie-Lise Pilote. »

Il n’en fallait pas davantage pour que Dany Turcotte, ancien membre du Groupe sanguin avec Marie-Lise Pilote – et homme blanc de 50 ans –, écrive sur Twitter que « le mépris de la nouvelle génération d’humoristes pour l’ancienne semble être assez généralisé ! »

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Dany Turcotte

Le mépris. Rien de moins. Se moquer du machisme du boys club de l’humour, qui s’ouvre enfin à la diversité – Bienvenue aux dames ! – serait méprisant ? Quand les humoristes en sont rendus eux-mêmes à confondre l’humour et le mépris, on se pose des questions sur leurs propres intentions.

L’ironie, c’est Dany Turcotte qui reproche à d’autres humoristes d’être méprisants alors qu’il a passé plus de 15 ans à multiplier les blagues malaisantes et déplacées dans son rôle de fou du roi à Tout le monde en parle.

Non, l’humour, ce n’était pas mieux avant. Ce ne l’était même pas à l’époque d’Yvon Deschamps, idéalisée par les boomers. L’humour a évolué au fil du temps, comme la société. « Tasse-toé mononcle ! » n’est pas seulement le slogan publicitaire d’une marque de voitures des années 1990. C’est, heureusement ou malheureusement, une injonction qui trouve encore tout son sens aujourd’hui.