En anglais, avoir du beef avec quelqu’un signifie qu’il y a de gros soucis, des problèmes graves ou de la discorde entre deux personnes.

À Survivor, par exemple, il y a du beef entre le négligé Joël et les deux frères alpha JJ et Christophe. Du gros beef bien saignant et gluant. Au quotidien, Twitter pullule de beef entre commentateurs, qui s’atomisent en 280 caractères et qui s’arrosent d’insultes. Bref, avoir du beef avec quelqu’un, c’est avoir une dent contre lui.

Pourquoi je vous bassine ici de belle et de bœuf ? Pour attaquer l’excellente comédie dramatique Beef de Netflix, qui suscite un engouement carnassier actuellement. C’est délicieux et le ton de cette série oscille brillamment entre l’humour sombre et le comique léger.

Les dix épisodes d’une trentaine de minutes de Beef, offerts en français sous le titre d’Acharnés, se dévorent en un week-end. C’est la série dont tout le monde parle et vous voulez vraiment vous joindre à cette discussion.

Parce que Beef parle de colère et de la façon dont on la gère – ou pas – en 2023. La télésérie démarre dans le stationnement d’une quincaillerie à grande surface de Los Angeles. Le VUS de bourgeoise d’Amy (Ali Wong) bloque le chemin du vieux camion déglingué de Danny (Steven Yeun). Coups de klaxon, doigt d’honneur et injures, la tension grimpe et ni Amy ni Danny ne veulent lâcher le morceau du beef qui s’installe entre eux.

En temps normal, jamais les univers d’Ali et de Danny ne se seraient entrelacés. Oui, ils sont deux trentenaires américains d’origine asiatique, qui vivent dans le sud de la Californie, mais ils naviguent dans deux sphères parfaitement étanches.

IMAGE TIRÉE DU SITE IMDB

Danny (Steven Yeun) et Amy (Ali Wong), deux personnages qui n’ont en apparence rien en commun

Amy est super riche. Elle a fondé une boutique de plantes très hip, qu’elle s’apprête à vendre à une chaîne de type Home Depot pour dix millions de dollars. Amy habite avec son copain artiste (évidemment !) dans une superbe maison d’architecte (bien sûr !) qu’elle a elle-même dessinée (on s’en doutait !).

De son côté, Danny en arrache. Célibataire, il crèche dans un motel merdique avec son frère Paul, qui ne fout rien de ses journées. Danny survit grâce à des jobines de construction et il ramasse de l’argent pour offrir une maison à ses parents qui, après une débâcle financière, ont dû retourner vivre en Corée du Sud.

Dans le stationnement où ils se croisent, Amy et Danny, qui ne se connaissent ni des lèvres ni des dents, pour reprendre une expression chouchou de René Homier-Roy, sont tous les deux au bout du boutte du rouleau.

Leur épisode de rage au volant est une manifestation claire de la colère sourde et de l’insatisfaction profonde qui les habite, chacun à leur façon.

Amy a pourtant tout pour être heureuse : un beau mari conciliant et doux qui l’encourage à méditer, une adorable fillette et une brillante carrière. Mais Amy, qui trimballe une énorme charge mentale, est sur le point d’exploser.

Danny aussi. Il porte le poids d’une famille pauvre sur ses épaules. Il travaille fort, mais n’en récolte jamais les fruits. Et le presto saute.

Plus la série progresse, plus on découvre les sous-couches des histoires personnelles d’Amy et de Danny, qui se ressemblent plus que l’on aurait pu l’imaginer. D’où provient cette agressivité qu’ils projettent l’un sur l’autre ? Voilà le nerf (ou le tendon ?) de l’histoire.

Au début de Beef, Danny et Amy, qui ont facilement trouvé où l’autre résidait, se jouent des tours anodins. Danny pisse sur le tapis de la salle de bains d’Amy. Amy salit la réputation de Danny sur les réseaux sociaux. Un petit mardi, quoi.

IMAGE TIRÉE DU SITE IMDB

Amy (Ali Wong) et Danny (Steven Yeun), les deux protagonistes de Beef

Rapidement, les enjeux se corsent et les esprits s’échauffent. Crinqués à l’os, Amy et Danny préparent leur vengeance sans se soucier des ravages qu’ils causeront dans leur sillage.

Plusieurs personnages secondaires intrigants gravitent autour d’Amy et de Danny, dont une belle-mère extrachiante, un cousin qui adore le trouble et une PDG nouvelâgeuse limite agressante.

Les parents d’Amy et de Danny, tous des immigrants, nous en révèlent beaucoup sur la source de l’aigreur et le ressentiment qui grondent en eux depuis tant d’années.

Ça faisait longtemps que Netflix n’avait pas proposé une télésérie aussi emballante et surprenante que Beef, une des belles découvertes de 2023. C’est fichtrement bien écrit et joué. C’est à fois très pointu et universel.

Si ce thriller existentialiste génère un buzz aussi important, c’est aussi parce qu’il a été produit par la très cool société A24, qui a été derrière Euphoria et Irma Vep de même que les films Lady Bird, Midsommar et Everything Everywhere All at Once.

Normalement, quand la compagnie A24 appose son sceau sur une production, c’est un gage de grande qualité. Du genre bœuf wagyu, bœuf de kobe de catégorie « prime ».

Et pour citer une publicité télé extrêmement populaire en 1988, j’aime mon bœuf, cuit de toutes les façons. J’aime. Mon. Bœuf !