C’est dommage que Québecor cache quasiment la bouleversante minisérie documentaire Lac-Mégantic — ceci n’est pas un accident sur sa plateforme Vrai, qui n’a pas la même puissance de rayonnement que la chaîne TVA ou même le Club illico.

Disons-le sans malice, ce n’est pas super simple de fréquenter Vrai (vrai.ca), le deuxième service de télé numérique de Québecor qui héberge les contenus de type style de vie, docuréalité et humour. D’abord, pour les non-clients de Vidéotron, Vrai coûte 15 $ par mois, ce qui est cher par rapport à son offre assez mince. Il faut alors y souscrire en passant par l’application mobile de QUB. Vous suivez toujours ? Parfait.

Si vous gravitez déjà dans l’environnement de Vidéotron (Hélix, illico), les tarifs mensuels de Vrai varient entre 5 $ et 15 $. Et Vrai nécessite un abonnement distinct de celui de Club illico, qui se concentre sur les séries de fiction et les films. Vous êtes toujours à l’écoute ?

Il réside là, le problème de Vrai : son accessibilité. Peu de gens connaissent son existence, et la façon de s’y connecter gagnerait à être facilitée. Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, songe d’ailleurs à fusionner les plateformes d’écoute en ligne Vrai et Club illico, ce qui serait une bonne nouvelle pour les consommateurs, dont la capacité de payer n’est pas infinie, contrairement au (feu) pouvoir du câble.

Tout ça pour dire que Lac-Mégantic — ceci n’est pas un accident, c’est aussi remuant que choquant et ça mériterait d’obtenir le plus de visibilité médiatique possible.

Construits avec sensibilité et rigueur, les quatre épisodes d’une heure, réalisés et coscénarisés par Philippe Falardeau (Le temps des framboises), vous feront sacrer et pleurer en même temps. Parce que l’explosion du train rempli de 7,7 millions de litres de pétrole brut était prévisible et évitable, comme l’affirme l’auteure et militante Anne-Marie Saint-Cerny, dont l’essai (Mégantic : un train dans la nuit) qu’elle a cosigné a servi de trame de fond à la minisérie.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Philippe Falardeau, réalisateur et coscénariste de Lac-Mégantic — ceci n’est pas un accident

La première heure, rythmée par un décompte funeste, expose toutes les lacunes techniques et le laxisme des autorités gouvernementales qui ont conduit à la nuit meurtrière du 6 juillet 2013, où le train noir a rasé le centre-ville de Lac-Mégantic et tué 47 personnes.

Citernes défectueuses, rails en mauvais état, fiches d’identification falsifiées et vieille locomotive en fin de vie professionnelle, une mer de drapeaux rouges suivait ce train de la Montreal, Maine & Atlantic qui a quitté le Dakota du Nord le 30 juin. Les wagons DOT 111, de véritables bombes roulantes, ont ensuite transité par Minneapolis, Milwaukee, Chicago, Toronto, Côte-Saint-Luc, Farnham et Nantes.

Le contrôleur ferroviaire Richard « RJ » Labrie, en fonction la nuit de la tragédie, livre un témoignage chavirant à la caméra. Plusieurs extraits de conversations téléphoniques entre lui et le conducteur Thomas Harding glacent le sang. La panique et l’impuissance s’entendent dans leurs voix.

Je n’aurais jamais pensé que l’étrange Edward Burkhardt, ancien propriétaire de la Montreal, Maine & Atlantic, se confierait au réalisateur Philippe Falardeau. Mais l’homme de 84 ans, le cowboy du rail, se pointe à la caméra avec son sourire narquois et ses réponses évasives, qui le dégagent de toute responsabilité dans l’hécatombe.

Les images d’archives insérées dans le documentaire nous montrent Ed Burkhardt lors de sa visite à Lac-Mégantic après la déflagration, où les citoyens en colère — et avec raison — le traitent de vieux rat. Un mois plus tard, Ed Burkhardt plaçait l’entreprise au bilan désastreux à l’abri de ses créanciers.

N’oublions pas. Pour économiser de l’argent, c’est la Montreal, Maine & Atlantic qui a implanté le travail à un seul conducteur par train, une manœuvre dangereuse qui n’a jamais été formellement interdite par Transports Canada.

Tom Harding avait signalé à ses supérieurs américains que c’était risqué de rouler en solo. Il avait également rapporté tous les défauts de la locomotive 5017 du train de l’horreur, qui a pris feu peu de temps avant de dévaler la pente de Nantes jusqu’à Lac-Mégantic. Mais personne n’a écouté Tom Harding, qui n’a pas participé à cette excellente série de la plateforme Vrai.

Évidemment, Philippe Falardeau s’entretient avec des familles qui ont perdu des proches dans ce drame épouvantable, dont celle de Frédéric Boutin, le seul corps entier qui a été extrait des décombres de Lac-Mégantic.

C’est impossible de ne pas casser quand Pascal Charest raconte comment il a perdu sa conjointe et ses deux filles, qui ont été brûlées vives dans l’incendie. Sortez les mouchoirs.

Vous verrez aussi l’ex-mairesse Colette Roy-Laroche, qui a été un exemple de courage pour tout le Québec. Dix ans plus tard, les émotions demeurent à fleur de peau quand les Méganticois se remémorent cette nuit d’enfer en zone rouge.

Et dix ans plus tard, l’indignation reste vive, car la réglementation ferroviaire n’a pas changé, selon la minisérie, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’une autre communauté ne subisse le même sort effroyable que Lac-Mégantic.

Qui serrera les freins, de façon adéquate, avant que ce film d’horreur ne rejoue ?