Une nouvelle génération de libraires arrive ! Et avec elle d’autres façons de voir les choses, d’imaginer ces lieux publics et de créer des ponts entre les livres et le consommateur.

Alors qu’on parlait de leur agonie il y a une dizaine d’années, voilà que les librairies indépendantes effectuent une belle remontée à la surface. Pour la première fois en huit ans, on observe plus d’ouvertures que de fermetures. Entre 2016 et 2022, on a enregistré 33 ouvertures, contre 20 fermetures.

Au cours des trois dernières années, 11 nouvelles librairies ont vu le jour au Québec (7 à Montréal et 4 en région). J’en ai visité trois qui ont pignon sur rue dans la métropole. Conviviaux et multifonctionnels, ces commerces de quartier annoncent un renouveau.

« Beaucoup de libraires sont arrivés dans le métier dans les années 1980, explique Carl Fortin, adjoint à la direction de l’Association des libraires du Québec (ALQ). Ils se sont heurtés à toutes sortes de changements (ventes en ligne, livres numériques, etc.). Il y a eu plusieurs départs à la retraite. C’est ce qui explique le changement qui s’opère en ce moment. »

Il y a environ 160 librairies indépendantes au Québec (130 qui sont membres de l’ALQ et une trentaine qui ne le sont pas). Carl Fortin observe depuis quelques années cette relève de la garde. Dans certains cas, les enfants des libraires prennent le relais, dans d’autres cas, ce sont de jeunes entrepreneurs qui décident de plonger. Ils le font sans trop d’expérience, mais avec un amour inconditionnel des livres.

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Mylène Abboud et Marie-Odile Cormier dans leur librairie La livrerie

C’est le cas de Mylène Abboud et de Marie-Odile Cormier, qui ont créé La livrerie, rue Ontario Est. Avec deux autres partenaires, elles ont mis sur pied un modèle de coopérative. L’ouverture de leur librairie a eu lieu en mars 2020… soit quelques jours avant le début de la pandémie.

Nous ne connaissions pas grand-chose de ce domaine. C’est ce qui explique sans doute que nous avons fait les choses autrement au bout du compte.

Mylène Abboud, copropriétaire de La livrerie

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Mélanie Guillemette dans sa librairie N’était-ce pas l’été

Quand Mélanie Guillemette a décidé de créer une librairie avec son associée, Julie Coquerel, elle a fait face à beaucoup de réticence. « Quand je disais que j’avais 27 ans et que je voulais ouvrir une librairie, les propriétaires m’ignoraient. » La jeune femme a finalement pu ouvrir la librairie N’était-ce pas l’été, en mars 2021, grâce à l’ouverture d’esprit d’une libraire spécialisée en ouvrages italiens qui a décidé de quitter son local du boulevard Saint-Laurent à un jet de pierre du populaire Caffè Italia.

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Léo Loisel et Olivia Sofia dans la librairie Un livre à soi

Riche de cinq années d’expérience à la librairie Le port de tête, Léo Loisel a créé avec une associée, Olivia Sofia, la librairie Un livre à soi, rue Laurier Est, qui a ouvert ses portes en mai 2022. « Je connaissais la littérature, mais rien à la distribution et à la gestion d’une librairie, confie-t-il. J’ai tout appris sur le tas. »

Un second salon

Dans les trois librairies que j’ai visitées, j’ai eu le sentiment de pénétrer dans des lieux accueillants qui donnent le goût de s’attarder. On l’impression de retrouver le confort de son salon. Au fond du magnifique local d’Un livre à soi, on retrouve un coin-terrasse où l’on peut bouquiner ou discuter entre amis.

Le lieu prend tout son sens si les gens du quartier s’y sentent comme chez-eux.

Olivia Sofia, copropriétaire de la librairie Un livre à soi

  • La terrasse de la librairie Un livre à soi

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    La terrasse de la librairie Un livre à soi

  • L’intérieur de La livrerie

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    L’intérieur de La livrerie

  • L’intérieur de la librairie N’était-ce pas l’été

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    L’intérieur de la librairie N’était-ce pas l’été

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À La livrerie, tout a été conçu pour être un lieu de rencontres et d’échanges. Au cœur des étagères de livres, on retrouve un comptoir où l’on peut se faire servir un cappuccino ou d’autres boissons. Mylène Abboud aime à parler de cet endroit comme d’« un tiers lieu » qui sert à vendre des livres, mais qui est aussi un café et un dépôt de légumes pour les gens du quartier.

Au fond de la boutique, on y tient des micros ouverts (open mic), des rencontres avec des auteurs, des ateliers, des cabarets littéraires et des conférences. « Nous présentons l’heure du conte avec Nicolas Germain-Marchand, dit Marie-Odile Cormier. C’est un énorme succès. Les gens arrivent très tôt pour avoir une place. »

À la librairie N’était-ce pas l’été, on retrouve une scène au fond de la boutique. Mélanie Guillemette y organise des soirées d’improvisation et des lectures sur divers thèmes, comme l’érotisme.

Des inventaires spécialisés

L’autre aspect qui unit ces librairies nouveau genre est la volonté des propriétaires de marquer par leur empreinte le choix des livres. Sachant fort bien qu’ils ne peuvent rivaliser avec les grandes chaînes qui offrent un choix infini d’ouvrages, ces libraires dotent leur commerce d’une personnalité certaine.

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L’intérieur de la librairie Un livre à soi

À la librairie Un livre à soi, Léo Loisel ne craint pas de situer sa librairie « plus à gauche, féministe et décoloniale ». Je lui ai demandé ce que cela veut dire. « Ça veut dire que je ne mettrai pas un livre de Mathieu Bock-Côté dans ma vitrine », m’a-t-il répondu.

Mélanie Guillemette, de la librairie N’était-ce pas l’été (nom tiré d’un poème de Marie Uguay), a fait le pari de créer un inventaire de romans et d’essais d’autrices féministes. Ce choix a un impact direct sur sa clientèle. « Je vois surtout des femmes de 20 à 40 ans qui cherchent des sujets féministes, dit-elle. Il y a des gens qui entrent et qui ressortent tout de suite et d’autres qui nous disent qu’ils ont l’impression d’être dans la bibliothèque de leurs rêves. »

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Sélection de la librairie N’était-ce pas l’été

Cette librairie offre également un superbe choix de zines, ces livres fabriqués par des artistes ou des auteurs, publiés à tirage limité en autoédition et laissés en consignation.

À La livrerie, où l’on offre des romans, des essais et de la littérature jeunesse, on reconnaît qu’on apporte un soin minutieux au choix des ouvrages. « Quelquefois, on peut se tromper, mais on s’efforce de faire une sélection rigoureuse, parfois même en fonction des goûts de nos clients », dit Marie-Odile Cormier, qui a enseigné la littérature au cégep.

Carl Fortin, de l’ALQ, croit que la clé du succès pour assurer la viabilité des librairies indépendantes est la « collaboration ». Je me suis entretenu avec lui au lendemain de la rencontre interprofessionnelle de la table de concertation Livres Québec, qui réunit des acteurs du secteur du livre. « Quand un livre se vend, c’est toute la chaîne qui est gagnante », dit-il.

Les libraires que j’ai rencontrés m’ont par ailleurs dit qu’ils n’hésitent pas à consulter les stocks de leurs collègues par l’entremise d’un site web afin de dénicher un ouvrage qu’ils n’ont pas pour un client.

« J’ai l’impression que la nouvelle génération de librairies endosse bien le rôle du libraire, dit Léo Loisel. Les gens viennent vers nous pour savoir ce qu’il faut lire. Ils viennent voir un libraire, mais aussi un humain qui a des goûts. Cette idée me plaît beaucoup. »

Sept nouvelles librairies à découvrir à Montréal

  • La livrerie, 1376, rue Ontario Est
  • N’était-ce pas l’été, 6792, boulevard Saint-Laurent
  • Un livre à soi, 1575, rue Laurier Est
  • Librairie Racines 6524, rue St-Hubert
  • Librairie Résonance, 40, rue Beaubien Est
  • Librairie Saga, 5574, chemin Upper-Lachine
  • Librairie Le renard perché, 3731, rue Ontario Est