Une fois par année, en consommant la superbe série The Bear de la plateforme Disney+, une envie irrépressible de devenir chef professionnel me chauffe comme un four à convection haut de gamme.

Tels Carrie et Aidan d’And Just Like That dans un Williams-Sonoma, la vue d’un moulin à poivre en bois d’olivier et d’une cocotte Creuset à 600 $ me procure un buzz aussi envoûtant que puissant, qui me pousse à crier « Corner ! » ou « Behind ! » en récupérant mes rôties au grille-pain.

Amenez-en des coups de feu, des clients allergiques au gluten (et au plaisir, en général) et de minuscules desserts à monter avec des pinces à épiler, chef Hugo gère une brigade imaginaire soudée et vaillante, formée dans les restos les plus étoilés du guide Michon. Celui de Marie-Soleil, bien sûr.

Puis, les dix épisodes de The Bear finissent et chef Hugo accroche son tablier de denim recyclé en se connectant à Uber Eats sans aucune envie de passer sept heures à rater un soufflé au fromage ou à mouliner des pâtes fraîches dans un nuage de farine. Non, merci.

Le pouvoir culinaire de The Bear s’estompe devant la réalité crasseuse d’une cuisine bordélique et d’une montagne de vaisselle à récurer.

Le pouvoir télévisuel de The Bear, lui, ne faiblit pas dans nos écrans. La deuxième saison, en ligne depuis un mois sur Disney+, en français et en anglais, surpasse la première en qualité et en quantité. C’est ce qui se concocte de meilleur en télévision actuellement.

Les magnifiques images de bouffe parfument quasiment nos maisons, tandis que la trame sonore rock (R.E.M., Wilco, Weezer) épouse à merveille cette histoire familiale tordue, qui gagne en profondeur dans son deuxième chapitre.

Ce qui a été évoqué et sous-entendu dans les huit premiers épisodes de The Bear est maintenant creusé et fouillé dans les dix suivants : où s’enracine donc le trauma des Berzatto, ce clan italien dysfonctionnel lié par un boui-boui de sandwiches très viandeux ? Voilà le menu à déguster.

La deuxième saison reprend peu de temps après la première, alors que le chef torturé Carmy Berzatto (Jeremy Allen White) ferme le casse-croûte familial The Beef pour y rouvrir The Bear, un établissement plus chic et raffiné que son ancienne incarnation de cantine pour cols bleus.

Aux fourneaux, Carmy compte sur le talent de la jeune cocheffe Sidney (Ayo Edebiri), de même que sur plusieurs anciens employés de The Beef, prêts à élever leur niveau en gastronomie.

Le pâtissier Marcus (Lionel Boyce) effectue ainsi un stage à Copenhague, la cuisinière Tina (Liza Colon-Zayas) s’enrôle à l’école culinaire de Chicago et le cousin gueulard Richie (Ebon Moss-Bachrach) s’immisce dans les coulisses d’un resto haut de gamme de type Alinea pour y apprendre les multiples nuances du service dans une prestigieuse salle à manger.

À la fois nerveuse et douce, la série The Bear nous aspire dans les nombreux préparatifs – et demandes de permis – qui mènent à l’ouverture frénétique d’un restaurant à Chicago. C’est cru, réaliste. Et chaque seconde compte.

Le sixième épisode, celui du Noël chez les Berzatto, est un pur bijou de télévision. Il dure une heure – je l’ai vu deux fois – et ravive l’esprit chaotique des débuts de The Bear, alors que les protagonistes se hurlent dessus dans une atmosphère tendue, violente et anxiogène.

Cet épisode formidable recule l’histoire de cinq ans, alors que la mère alcoolique Donna Berzatto (époustouflante Jamie Lee Curtis), une femme au caractère instable, reçoit à souper sa famille élargie, et ça dégénère rapidement. Le comportement volcanique de la maman Berzatto donne les clés pour comprendre les failles psychologiques de ses trois grands enfants Natalie dite Sugar (Abby Elliott), Carmy et Mikey (Jon Bernthal), celui qui s’est donné la mort au début du récit.

En plus de Jamie Lee Curtis, qui vole la vedette, ce sixième épisode déjà mythique accueille d’autres grosses pointures hollywoodiennes comme Bob Odenkirk (Better Call Saul), Sarah Paulson (American Horror Story) et John Mulaney (SNL).

La cacophonie permanente et la frénésie agressante des premiers épisodes ont découragé plusieurs téléphages d’enfourner The Bear. Je comprends à 100 %. Avec ses personnages aux multiples surnoms, sa musique tonitruante et ses dialogues poivrés de gros jurons, The Bear ne sollicite pas les mêmes papilles qu’une émission bonbon grand public.

Mais la deuxième saison, plus tendre, est beaucoup mieux dosée, je trouve. Les épisodes délaissent la technique et l’urgence pour se concentrer sur le cœur des personnages, leur passé complexe, leurs aspirations et leurs inspirations.

Notre héros taciturne Carmy, loin d’être un petit soleil rayonnant, on le sait, réussit même à sourire et à s’ouvrir à la possibilité de l’amour, si, si !

Évidemment, The Bear perdrait sa saveur sans son côté salé. Attendez-vous donc encore à des prises de bec épiques, à des carnages en cuisine et à des chansons puisées directement dans le répertoire pop-rock des années 1990. On réserve tout de suite pour le troisième service ? Oui, chef !