J’ai été juré dans un procès de meurtre, il y a exactement huit ans, au palais de justice de Montréal. Une histoire sordide de voisins toxicomanes, à Pointe-aux-Trembles, qui couchaient ensemble pour des « petits 20 piasses » et qui a culminé en assassinat, par strangulation, après une soirée de party sur les drogues dures.

Un petit mercredi, quoi.

Si vous vous demandez à quoi ressemble une journée type dans la vie d’un juré, je répondrais : comme pendant le procès du policier Maxime Dubois (Mathieu Baron) dans Indéfendable à TVA, mais avec un jeu d’acteur beaucoup moins gros, seigneur.

Les cinq épisodes d’Indéfendable consacrés au travail d’un jury, et plongés au cœur de la salle des délibérations, ont été très réalistes.

Votre honneur, j’exclus de cette déclaration la scène burlesque où le président du jury a été électrocuté en accotant une échelle sur le toit de sa maison de banlieue. Pour le reste, ça passe le test de la crédibilité.

Comme dans Indéfendable, la famille de l’accusé pleure, à quelques mètres de nous, presque tous les jours. Évidemment que ces sanglots répétés plombent le moral et écrabouillent le cœur.

Comme dans Indéfendable, un juré débat de notions juridiques très précises avec 11 autres novices, qui proviennent de milieux socioéconomiques ne se croisant pas souvent. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai failli pogner les nerfs après une personne dans le jury qui ne comprenait pas vite (les pires !), qui prenait trop de place pour son niveau de compétence (désagréable au max) ou qui se bornait à défendre une idée aucunement logique (patience, Hugo, patience).

Mais pour vrai, gang, on allume, on embraye, car on ne passera pas trois mois ici, OK ?

On l’a bien vu dans Indéfendable, la tension grimpe rapidement quand 12 inconnus s’obstinent dans une pièce sans fenêtre, agités par du très mauvais café. Pendant les six semaines qu’a duré mon procès, à l’automne 2015, j’ai assisté à tout ça : la fatigue, le découragement, les crises d’anxiété, les conflits de personnalité entre jurés, l’impatience, l’écœurement, les jurés trop motivés qui jouent aux premiers de classe, les autres qui s’en sacrent ou ceux qui ralentissent le groupe, trop heureux d’avoir mis sur pause leur vrai travail.

Certains de mes camarades jubilaient d’avoir été sélectionnés pour juger cette cause glauque, où le cadavre de la victime contenait 41 vieilles aiguilles « oubliées » pendant des trips d’héroïne, étalés sur plusieurs années. D’autres, dont moi, auraient voulu se sauver en Alberta avec MFrédéric Legrand (Martin-David Peters) pour éviter ce processus d’une lenteur exaspérante.

Car être juré, à 103 $ par jour, c’est long, longtemps. C’est fastidieux, routinier, il y a un paquet de règles à suivre et je vous épargne les débats stériles pendant lesquels des jurés posaient d’interminables questions à propos du remboursement de leur billet de métro. Soupir.

Comme dans Indéfendable, un juré retourne chez lui après sa journée au palais de justice. La séquestration se produit à la toute fin, quand les jurés décident, une fois la preuve close, du verdict final.

Sans cellulaire, télé, radio, tablette, journal ou accès à internet, nous dormions dans un hôtel de Longueuil, en bordure de la majestueuse autoroute 20, nous mangions toujours les 12 jurés ensemble et deux constables s’assuraient que personne ne discutait de la cause autour de la table. Même chose durant le transport, par minibus, entre l’hôtel et le palais de justice : interdiction de parler de l’accusé, de sa victime, de leur livreur de poudre ou de la voleuse du Maxi de la Place Versailles (histoire vraie).

On finit par manquer de « small talk », vrai, mais on ne jase de justice qu’une fois la porte de notre petite salle refermée, jamais avant.

Comme dans Indéfendable, on passe régulièrement au vote pour vérifier de quel côté penche la balance. Huit contre quatre, neuf contre trois, c’est bon, on s’approche d’un verdict. De mémoire, nous avons été reclus pendant deux jours avant d’atteindre l’unanimité (coupable de meurtre non prémédité).

IMAGE TIRÉE DE L’ÉMISSION

Marie-Laurence Lévesque dans une scène d’Indéfendable

Comme dans Indéfendable, c’est facile de déterminer qui dans le jury sera facile à convaincre ou qui résistera le plus longtemps.

Criminaliste depuis 40 ans, Clemente Monterosso, qui a défendu Vito Rizzuto jusqu’en Cour suprême, suit les péripéties du cabinet Lapointe, Macdonald et Desjardins depuis le début. « C’est très près de la réalité, notamment pour les notions de droit, les objections formulées et les commentaires des juges. Ça colle à ce que l’on voit au palais de justice, ce n’est pas trop romancé. Et l’émission explique bien les règles de droit, c’est quasiment éducatif », constate l’avocat montréalais.

Les procureurs de la Couronne, qui perdent très souvent dans Indéfendable, une série qui a été cocréée par le criminaliste Richard Dubé, diraient le contraire, mais bon.

Qui a le goût de déclencher la fureur de MBiron (Marie-Laurence Lévesque), la procureure la plus carnassière du DPCQ ? Pas moi.

Comme Mathieu Baron depuis deux semaines, je la joue profil bas, regard contrit et expression neutre.