La rencontre devait avoir lieu dans un café de l’avenue du Parc. Mais le lieu, très bruyant, s’est avéré un mauvais choix. « Viens, on va aller au YMCA en face », m’a dit Pierre Flynn. Ça en dit long sur cet artiste de haut calibre qui sait laisser son ego au vestiaire.

C’est donc dans une salle à l’éclairage ingrat, sans l’ombre d’une tisane ou d’un jus de pomme, que le créateur de La maudite machine a accepté de revenir sur un demi-siècle de carrière, un évènement qu’il souligne par une tournée fort prometteuse.

Ce spectacle, où Pierre Flynn revisite ses grandes chansons seul au piano, est l’un des faits saillants de l’édition de Coup de cœur francophone qui prend son envol ce jeudi.

Comment parler d’un parcours long de 50 ans, sinon en remontant aux sources, c’est-à-dire à Gladstone, le « groupe école » que le Pierre Flynn de 16 ans forme avec le bassiste Mario Légaré et le guitariste Jean Dorais ? « On faisait surtout des covers. Je me souviens que je chantais Woodstock, de Joni Mitchell. »

Après un séjour d’un an à Ottawa, Légaré retrouve son ami Flynn au cégep de Saint-Laurent. Ce dernier, étudiant en littérature, décide de perfectionner sa technique du piano, instrument qu’il a jusque-là apprivoisé en autodidacte.

Le duo Légaré-Flynn se produit dans des clubs.

PHOTO PIERRE CÔTÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le groupe Octobre avec Pierre Flynn au premier plan, en 1974

J’ai retrouvé récemment un bout de papier sur lequel apparaît le brouillon de La maudite machine et notre répertoire. Toutes mes chansons étaient en anglais. On avait le cul sur la clôture. Celui qui a changé le sens du vent, c’est Charlebois.

Pierre Flynn

Lorsque le groupe Octobre est formé, en 1971, et que les membres travaillent à un premier disque, en 1972, il est alors clair que les chansons seront en français. À ce moment, les groupes Harmonium et Beau Dommage sont en gestation. « Offenbach avait un premier disque, Les Séguin et Gilles Valiquette arrivaient. »

Pierre Flynn, Jean Dorais, Mario Légaré et Pierre Hébert (batterie) créent les chansons du premier opus au cours de l’année 1972. Le son n’a rien à voir avec ce qu’on entend au Québec. « Pour nous, l’étiquette de groupe progressif n’existait pas. Ce son était celui de Gentle Giant, King Crimson ou Yes. Dans notre tête, on faisait du rock. »

Comme plusieurs musiciens de sa génération, Pierre Flynn est un enfant des Beatles. « Mais j’aimais aussi le jazz, Léo Ferré, James Brown et Stravinsky. J’ai fait ma propre poutine à partir de tout ça. »

Le 26 juillet 1973, Octobre inaugure une série de spectacles à la Petite Bastille, l’ancienne prison de Québec, en compagnie du Ville Émard Blues Band et Contraction. Le premier disque homonyme du groupe est lancé quelques semaines plus tard. Il contient quelques bombes, dont Si on partait, Dans ma ville, Les vivants et, bien sûr, La maudite machine.

« Tout est dans le ton, vif, enthousiaste, dans la fermeté qu’on sent chez Pierre Flynn », écrit Gisèle Tremblay du Devoir.

Après ce disque, le groupe assure la production à un rythme effréné : Les nouvelles terres, en 1974, Survivance, en 1975, et L’autoroute des rêves, en 1977. Au milieu des années 1970, le Québec vit une incomparable effervescence sur le plan musical. Mais aussi une grande fièvre nationaliste.

On sentait vaguement que c’était à notre tour de proposer un rock québécois contemporain qui reflétait notre génération. Nous étions des camarades de ce champ de bataille là. Il y avait une fraternité mêlée d’une certaine rivalité, bien entendu.

Pierre Flynn

L’apothéose de ce « champ de bataille » a lieu le samedi 26 juin 1976, lors du spectacle Ok, nous v’la, au pied du mont Royal. Ce soir-là, 28 artistes issus d’Harmonium, Beau Dommage, Octobre et Contraction, de même que Richard Séguin et Raôul Duguay, chantent devant une foule monstre. Serge Fiori qualifie l’imposant ensemble de « premier orchestre symphonique populaire ».

Mais en 1980, après le disque Clandestins, les membres d’Octobre décident de mettre fin à leur aventure. « Ce n’est pas une mésentente interne qui a causé la fin. Le dernier disque a marché moyennement et en spectacle, c’était devenu plus difficile. Ça s’est éteint doucement. »

Pierre Flynn repart sur la route avec d’autres musiciens. Il songe à faire un disque. Mais les gros labels qui s’en étaient mis plein les poches durant la dernière décennie ne sont plus là.

Il crée néanmoins de grands disques : Le parfum du hasard (1987), Jardins de Babylone (1991), Mirador (2001) et, plus récemment, Sur la terre (2015). Plusieurs chansons (Possession, Sur la route, En cavale, Traces dans le sable) connaissent un grand succès. « Le fait de passer à la radio était un signe de compromis pour certains puristes. Pour moi, ça représentait une rencontre avec un plus vaste public. »

L’auteur-compositeur fait souvent référence à sa cadence de production en blaguant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Spectacle de Pierre Flynn au cabaret Juste pour rire, en 2003

L’écriture est un processus qui est long pour moi, car j’accorde beaucoup d’importance à ça. Je n’ai jamais été le plus organisé, le plus méthodique ou le plus efficace des créateurs.

Pierre Flynn

Est-ce que le Pierre Flynn qui lance son premier disque en 1973 a imaginé un instant qu’il ferait carrière 50 ans plus tard ? « Pas du tout ! Avec ma blonde de l’époque, on avait tenté de s’imaginer ce qu’on serait en l’an 2000. On se voyait très vieux à 46 ans. »

Le Pierre Flynn qui est devant moi est volubile, énergique, vif. Le temps ne semble pas avoir d’emprise sur lui. « Je suis conscient que j’ai 69 ans et je ne ferai pas dix albums encore. Cela dit, j’ai encore le goût d’écrire et de faire de la musique, même si je trouve ça stressant. Mais bon, si je faisais un autre métier, je trouverais ça stressant. C’est moi, ça ! »

Cette tournée, qui est en plein développement, se déploie jusqu’au printemps 2024. Espérons qu’elle s’enrichira de nouvelles dates.

Au Gesù, le vendredi 3 novembre, à 20 h, dans le cadre de Coup de cœur francophone

Consultez la page du spectacle à Coup de cœur francophone Consultez les dates de la tournée de Pierre Flynn