Avec son premier roman, Ce que je sais de toi, Éric Chacour a vécu le rêve de tout écrivain, soit un accueil dithyrambique et une avalanche de sélections pour des prix prestigieux, parmi lesquels le Renaudot et le Femina, en plus de recevoir la Bourse de la découverte de la Fondation Pierre Prince de Monaco.

Son automne a été tout aussi merveilleux que celui de Kevin Lambert, à qui j’ai beaucoup parlé pendant sa conquête du prix Médicis. Il me fallait rencontrer Éric Chacour, dont j’ai lu le roman dans la frénésie médiatique qui l’a entouré. Il m’a reçu chez lui, de retour de son tourbillon en France, et j’ai pu découvrir un homme aussi humble que sensible, qui flotte encore sur un nuage.

C’est le parcours qui est fascinant chez Chacour. La littérature au Québec est beaucoup faite par les littéraires, c’est-à-dire par des gens qui ont étudié en lettres ou qui travaillent dans les domaines de l’écriture ou de l’édition. Éric Chacour ne fait pas partie de ce sérail, il a étudié en économie appliquée et en relations internationales à l’Université de Montréal. Alors pourquoi la littérature ? Comment est-il arrivé à ce premier roman aussi poignant que maîtrisé, qu’on n’arrive pas à lâcher ?

« Je pense que j’ai toujours aimé écrire, dit-il. Mon grand rêve quand j’étais adolescent était surtout d’écrire des chansons. Je créais de nouvelles paroles sur les chansons de Lara Fabian, Céline Dion, Patricia Kaas ou Mylène Farmer. »

Je ne pensais pas un jour écrire un roman. Mais j’ai eu envie d’écrire un Roméo et Juliette qui se passait en Égypte, un roman d’amour et de famille, sans tomber dans l’exotisme.

Éric Chacour

Ce que je sais de toi nous emporte dans une émouvante histoire d’amour entre deux hommes que tout oppose, Tarek et Ali, une passion qui mènera Tarek en exil à Montréal, car elle fera dérailler sa vie et celle de ses proches, lui qui était pourtant un garçon si docile. Mais ce sont dans ces moments-là où tout se détraque que nous vivons parfois, croit Éric Chacour. « J’aime bien cette idée qu’on ne soit pas vivant sur une vie entière, et que dans ces rares moments où ça arrive, on sache se connecter à ça. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Éric Chacour rêvait surtout d’écrire des chansons à l’adolescence.

Ce que je sais de toi est le genre de livre dont on ne peut pas trop parler sans tomber dans les divulgâcheurs. Tout ce que je peux dire est que c’est beau, doux, sensuel, rempli de surprises qui créent le suspense, et j’insiste, tellement bien maîtrisé qu’on peine à croire que c’est un premier roman. Et voilà ce qui est drôle : à la maison d’édition Alto, qui a tout de suite sauté sur le manuscrit, on a eu des doutes aussi, me raconte Éric Chacour en riant. On a pensé à un écrivain de la maison qui testait le processus éditorial ou peut-être à un plagiat. Parce qu’Éric Chacour arrivait de nulle part avec ce livre qui a tout fracassé.

Quand un roman naît au Salon du livre

En fait, Éric Chacour est né à Pointe-Claire de parents égyptiens qui se sont rencontrés à Montréal, où plusieurs de membres de sa famille habitent. Il a grandi à Notre-Dame-de-Grâce jusqu’à l’âge de 10 ans, pour ensuite aller vivre en France environ 25 ans, avant de se réinstaller au Québec il y a quelques années.

Mais pendant une bonne décennie, Ce que je sais de toi germait en lui, et il est un peu né au Salon du livre de Montréal (SLM).

Éric Chacour aime fréquenter le SLM avec ses cousines et quand elles ont su qu’il avait écrit un livre, elles ont créé un jeu consistant à lui trouver un éditeur parmi les nombreux stands au salon.

La maison d’édition Alto étant l’une des préférées d’une cousine, et parce que les couvertures sont belles, Éric Chacour leur a envoyé son manuscrit. Il a à peine eu le temps d’envoyer des exemplaires à d’autres maisons qu’il était retenu.

Bref, le primoromancier aurait très bien pu tenter sa chance chez Gallimard ou Grasset, mais les hasards ont fait que Ce que je sais de toi appartient à la littérature québécoise. Ce qui ne l’a empêché en rien d’exploser sur la scène littéraire française.

Le roman a été publié en janvier 2023, mais juste avant, Éric Chacour a vécu un étrange Salon du livre à Montréal l’an dernier. Lors d’un souper de l’éditeur avec ses auteurs, il était le seul qui n’avait pas encore publié. « C’était intimidant, mais j’étais aussi très excité, car mon livre allait paraître bientôt, se souvient-il. C’est aussi le salon où j’ai pris mon courage à deux mains et où je suis allé voir celui qui est mon idole absolue, Michel Marc Bouchard. J’ai eu une discussion un peu magique avec lui. »

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Éric Chacour vivra son premier Salon du livre de Montréal comme écrivain cette année.

C’est émouvant quand on y pense, mais Éric Chacour vivra son premier Salon du livre de Montréal comme écrivain cette année, après sa rentrée littéraire française sur les chapeaux de roue. Comme Kevin Lambert, il a accompagné son livre sur toutes les tribunes, jusqu’à faire des Zoom à l’heure des poules avec des étudiants pour le Renaudot et le Femina des lycéens. Trois jours avant son passage à l’émission La grande librairie, une protubérance a poussé sur son œil, il me montre la photo de son visage tuméfié et je ris aux larmes. « L’ophtalmologiste m’a dit : ne cherchez pas, c’est le stress. Je passais à la télé à la plus grosse émission littéraire francophone. J’ai mis de la pommade à la cortisone pendant deux jours, c’était horrible. Mais en même temps, j’étais heureux de vivre ces émotions, tout en ayant envie de revenir dans ce Québec plus tranquille. »

Une musicalité

On a beaucoup souligné le caractère poétique de son premier roman, mais peut-être faudrait-il parler de musicalité. Comme Flaubert, Éric Chacour soumet ses textes à l’épreuve du gueuloir, il les lit à voix haute, et si ça sonne mal, il contacte son éditeur pour modifier son roman qui est allé plusieurs fois en réimpression. « Peut-être aussi parce que je n’ai pas envie que ce roman-là soit complètement terminé », confie-t-il, les yeux brillants.

Éric Chacour se décrit comme un lecteur laborieux et contemplatif. Une seule belle phrase peut le combler pour une journée entière. « Je pense que pour écrire, il faut avoir une appétence pour les mots, mais on peut travailler avec autre chose que la littérature. Par exemple, j’adore la chanson française, et je pense que l’un des plus grands auteurs du monde est Jacques Brel. »

Et si Lara Fabian ou Céline Dion lui demandait une chanson ? « Ah ben ça, c’est le rêve absolu ! », s’exclame-t-il. « Quand je dis ça à des libraires, je les vois se décomposer ! Mais c’était vraiment mon rêve quand j’étais gamin, et je pense que j’ai travaillé ma plume comme ça. »

On va lancer ça dans le journal et dans l’univers – après tout, Éric Chacour n’aurait jamais espéré dans ses rêves les plus fous vivre tout ce qu’il a vécu avec son premier roman. Alors pourquoi pas une chanson pour Lara ou Céline ?

Éric Chacour sera au Salon du livre de Montréal les 23, 24 et 25 novembre pour des séances de dédicaces, et participera aux Prescriptions littéraires le 23 novembre à 20 h, ainsi qu’à un grand entretien le 24 novembre à 18 h 30.

Consultez l’horaire complet de la présence d’Éric Chacour au Salon du livre
Ce que je sais de toi

Ce que je sais de toi

Alto

296 pages