Dans un Salon du livre de Montréal plein à craquer jeudi, on a appris que le Québec sera l’invité d’honneur au prochain Festival du livre de Paris. « Ce n’était pas arrivé depuis 1999 », a rappelé Jean-Baptiste Passé, directeur général de l’évènement le plus important de la francophonie dans le genre. « Ça fera donc tout juste 25 ans et c’est un anniversaire qu’il nous semblait important de célébrer. De montrer, aussi, aux amateurs du livre et de la lecture français et franciliens, combien la scène de la littérature québécoise a évolué. C’est toute cette vitalité qu’on va chercher à illustrer. »

Mais que s’est-il passé depuis 25 ans ? Une révolution dont on récolte aujourd’hui les fruits. Ce n’est pas un hasard si les écrivains d’ici brillent depuis quelques années en France, en particulier cet automne avec des auteurs comme Kevin Lambert ou Éric Chacour qui ont été sélectionnés pour les prix littéraires les plus importants de l’Hexagone – Lambert ayant finalement décroché les prix Décembre et Médicis.

Car il y a aussi Denise Desautels qui a remporté l’an dernier le prix Apollinaire, considéré comme le « Goncourt de la poésie », et l’artiste Julie Doucet qui a reçu pour l’ensemble de son œuvre le Grand Prix d’Angoulême, vu comme le Nobel de la BD. On peut remonter jusqu’au prix Médicis remis en 2009 à Dany Laferrière, devenu ensuite un immortel de l’Académie française, que je soupçonne de travailler dans les coulisses du milieu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dany Laferrière est devenu membre l'Académie française le 28 mai 2015.

Il ne faudrait pas oublier Hélène Dorion dont le livre Mes forêts est entré au programme du bac français. « C’est complètement dingue, me dit Jean-Baptiste Passé. Les lycéens et les professeurs vont travailler sur un auteur vivant pendant trois ans et il s’avère que c’est une poète québécoise ! »

Ceci est au carrefour de tout ce qu’on sent, d’un regain d’intérêt pour la poésie, la bande dessinée et la littérature au Québec, qu’on a envie d’amplifier et d’accélérer. En gros, on veut réunir le plus beau plateau de cette littérature contemporaine.

Jean-Baptiste Passé, directeur général du Festival du livre de Paris

Je radote que tout cela est le résultat du renouveau des maisons d’édition au Québec depuis les années 2000, arrivées à maturité après avoir créé l’originalité de notre littérature, qui intrigue, donc qui est lue. Sébastien Lefebvre, gestionnaire à Québec Édition, qui s’occupera du pavillon d’honneur à Paris, est d’accord. « Cela vient du travail des éditeurs, de notre association et du rayonnement des auteurs, explique-t-il. De plus, il y a une nouvelle génération d’éditeurs à l’intérieur des maisons françaises qui ont un autre rapport à la littérature québécoise. Oui, nous sommes arrivés à maturité. »

On dit que nul n’est prophète en son pays, mais à mon humble avis, la plus grande réussite de la littérature québécoise du dernier quart de siècle aura été de séduire le public d’ici, avant de séduire celui d’ailleurs. On n’a qu’à voir les allées pleines du Salon du livre de Montréal. Si une littérature ne rejoint pas en premier son peuple, pourquoi d’autres peuples s’y intéresseraient-ils ?

Et il se trouve qu’en France, on s’en rend compte. « On sent qu’il y a cette énergie qui est en train de se cristalliser, qui est extrêmement positive et joyeuse, note Jean-Baptiste Passé. Au fur et à mesure de nos discussions, les premières sélections des prix sont arrivées, on s’est dit que c’était vraiment le moment. »

L’impact, je crois, sera grand. Le Festival du livre de Paris, qui se déroulera du 12 au 14 avril, c’est plus de 100 000 visiteurs au Grand Palais éphémère collé à la tour Eiffel. On peut s’attendre à voir débarquer plusieurs journalistes français pour préparer cette couverture, confirme Jean-Baptiste Passé. Il est trop tôt pour parler de la programmation qui sera annoncée en février, dit-il, mais il affirme qu’il ne veut pas « assigner les auteurs québécois à résidence ».

Ce qui m’intéresse, c’est la singularité, le propos sur la modernité. C’est une langue, c’est un style. Nous voulons faire interagir les auteurs québécois avec d’autres, on veut une mixité.

Jean-Baptiste Passé, directeur général du Festival du livre de Paris

Michel Tremblay, ce joyau national, qui était à Paris quand Kevin Lambert a gagné le prix Médicis, a déclaré ceci : « Si la société québécoise n’est pas très en santé, sa littérature l’est. » Il n’a pas manqué de faire le lien avec Marie-Claire Blais, première lauréate en 1966, ce qui pour lui illustrait des décennies plus tard « une filiation, une continuité ». Effectivement, ce que l’on vit comme engouement ressemble un peu à ce qui s’est passé dans les années 1960 et 1970, avec les Tremblay, Ducharme, Hébert, Blais, VLB, Aquin, quand le Québec fascinait la France dans son ébullition.

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Kevin Lambert alors qu'il venait de recevoir le prix Médicis à Paris, le 9 novembre

Aujourd’hui, on dirait que cette littérature n’a plus besoin d’être à la remorque d’un projet national, comme si elle avait fait son indépendance. En se permettant tout dans ses thèmes, dans ses formes, dans sa langue, elle a imposé une liberté, et son identité, qui est multiple. « C’est intrinsèque », souligne Jean-Baptiste Passé.

Je suis passée d’une époque où « lire québécois » était loin d’être à la mode, et je dois une grande partie de ma carrière de journaliste littéraire au fait d’avoir hérité à mes débuts de ces livres qui intéressaient moins que ceux des grands noms français ou américains, sans savoir que j’allais être témoin d’une renaissance ayant apporté de nouvelles voix incontournables aujourd’hui. Quelle chance, quel privilège d’avoir été là – et je compte bien me rendre au Festival du livre de Paris pour poursuivre l’aventure, loin d’être terminée.

On n’a pas fini d’entendre parler de la littérature québécoise, je vous le garantis.