Je me suis offert quelques jours de vacances et j’ai eu la bonne idée de glisser dans ma valise l’autobiographie de Guy Fournier, Jamais deux sans moi, écrite en collaboration avec Pierre Huet. Allons droit au but : j’ai dévoré ça !

Constitué de courts chapitres offerts dans un désordre organisé, le livre ratisse large. Il est à l’image de la personnalité plurielle de Fournier. Cet homme de culture est à la fois un incorrigible trousseur de jupons et un éternel romantique, un être ultra-sensible et provocant, un artiste dans l’âme et un bureaucrate capable de rédiger des rapports sérieux.

De son enfance dans les Cantons-de-l’Est, dans les années 1930 (oui, il a connu les chevaux et les lampes à l’huile), en passant par les premiers béguins, jusqu’à une vieillesse pas toujours sage, Fournier se raconte en toute liberté, parfois même un peu trop. Certains passages sont corsés, vous êtes prévenus.

J’ai évidemment été très intéressé par la période où il est patron du Nouvelliste de Trois-Rivières alors que son frère jumeau Claude (dont il est abondamment question) travaille à La Tribune de Sherbrooke. On apprend que Guy Fournier devait se rapporter chaque vendredi au premier ministre Maurice Duplessis. Précisons qu’à cette même époque, les journalistes qui couvraient les conseils municipaux recevaient discrètement 2 $ après chaque séance. On repassera pour la déontologie.

La relation entre les deux hommes dérape quand Fournier se met en travers du chemin du « cheuf ». Congédié cavalièrement, le journaliste promet à sa femme d’aller cracher sur la tombe de Duplessis lorsque celui-ci mourra. Guy Fournier tiendra sa promesse.

On peut s’en douter, les femmes occupent une grande place dans ce livre. Il y a les « officielles » : Louise, la mère de ses deux fils, qui s’est suicidée après avoir confié la garde des garçons au père, Aimée Danis, une réalisatrice et productrice, Louise Deschâtelets, à qui Guy Fournier offre des superlatifs, et Alba, une Libanaise qui lui en a fait voir de toutes les couleurs. Aujourd’hui, il y a Maryse, son roc de Gibraltar.

Et puis il y a toutes les autres que Fournier a courtisées pour le plus pur plaisir de séduire. On apprend qu’il s’est « accroché les pieds » chez Denise Bombardier. Quant aux nombreuses autres conquêtes, on en perd le compte. Et lui parfois la raison (il trompe sa première femme durant leur voyage de noces).

Mais percevoir Guy Fournier uniquement comme celui qui a cherché à enrichir son tableau de chasse serait réducteur. Il faut lire les chapitres où il parle des amitiés sincères et profondes qu’il a eues avec Anne Hébert et Judith Jasmin.

Il serait trop long d’énumérer tout ce que cet homme a accompli sur le plan professionnel (auteur, producteur, consultant, négociateur, etc.). Mais cet ouvrage montre la grande influence qu’il a eue sur l’industrie des médias.

De La boîte à Surprise jusqu’aux Héritiers Duval, sa carrière d’auteur est riche et variée. Dans une étonnante franchise, il décrit le climat difficile qui régnait sur le plateau de Jamais deux sans toi. On apprend que Jean Besré (dont le personnage fut inspiré des chroniques que Guy Fournier signait dans Perpectives) et Angèle Coutu ne pouvaient pas se blairer.

Cette mésentente tranche avec la relation que Guy Fournier et Louise Deschâtelets ont eue sur le plateau de Mon amour, mon amour au milieu des années 1990.

En couple depuis des années, les deux coanimateurs se sont séparés juste avant le début de la saison. Le public n’a rien vu de cela.

Guy Fournier n’a jamais eu peur de se remettre en question (un soir où il réalise qu’il a fait trop de blagues sur les « fifs », il décide de créer deux personnages de gais dans Jamais deux sans toi). Il n’a jamais craint de dire les choses franchement et de prendre position (lors de la grève des réalisateurs de 1958, il a donné un coup de bâton de baseball sur la voiture du président de Radio-Canada), même si cela lui faisait perdre des plumes.

Quand il a mis sur pied Télévision Quatre-Saisons, en 1986, il s’est donné comme objectif de favoriser la place des femmes et celle des minorités visibles. Cela lui vaudra un commentaire hautement raciste du grand patron de la chaîne, Jean Pouliot, qui n’appréciait pas la présence de Dany Laferrière sur ses ondes.

Il y a plusieurs hommes en Guy Fournier. Il ne nous demande pas d’en choisir un. Il ne nous demande pas non plus d’en aimer un. Mais si on devait faire ces choix, je parie qu’il en serait très heureux.

Dans une version antérieure de cette chronique, nous avions écrit que l'auteur attribuait des propos racistes à Robert L'Herbier. Il s'agit plutôt de Jean Pouliot. Toutes nos excuses.

Le fameux passage à Tout le monde en parle

C’est à la toute fin du livre que Guy Fournier raconte l’évènement qui l’a obligé à quitter la présidence du conseil d’administration de CBC/Radio-Canada. Je parle de son passage à Tout le monde en parle, le 17 septembre 2006.

Tout cela commence par un appel de Pascal Beausoleil, un animateur de CHOQ-FM, une radio communautaire de Toronto, qui souhaite échanger avec Guy Fournier au sujet du livre Histoire et bizarreries des excréments (Fournier en avait parlé deux ans plus tôt à l’émission de Julie Snyder) et de la jouissance de la défécation.

Au bout de quelques minutes de ce « bavardage insignifiant », Fournier met un terme à la conversation. L’entretien est enregistré. Guy Fournier prétend aujourd’hui qu’il ne le savait pas.

Quelques semaines plus tard, Guy A. Lepage l’invite sur son plateau en lui disant, toujours selon Guy Fournier, qu’il souhaite revenir sur une « chronique d’humour » publiée dans 7 Jours (une association libanaise avait intenté une poursuite de 250 000 $ contre Guy Fournier qui avait écrit qu’une loi permettait aux Libanais d’avoir des relations sexuelles avec des animaux femelles), mais aussi parler de l’avenir de Radio-Canada.

Mais lors de l’émission, on fait entendre un extrait de l’échange que Fournier a eu avec Beausoleil. Les invités sur le plateau (Thierry Ardisson, Serge Lama) se bidonnent. Guy Fournier se liquéfie sous nos yeux.

« Lorsque Lepage met fin au supplice et me demande ce que je pense de la soirée avec un sourire machiavélique qui en dit long sur le coup qu’il vient de réussir, je n’arrive pas à articuler un seul mot. Je suis K. O. », écrit-il.

Guy Fournier a dû remettre sa démission du conseil de Radio-Canada. « Des années après cette triste apparition à TLMEP, je me demande encore s’il n’y a pas eu collusion pour me pousser à la démission », ajoute-t-il dans le livre.

Cet évènement fut extrêmement douloureux pour Guy Fournier qui a eu des pensées suicidaires. « Je ne croyais pas me remettre de ce malheureux épisode », dit-il.

Jamais deux sans moi

Jamais deux sans moi

Les Éditions du Journal

440 pages