Des maisons vides et des sapins sans lumières, ça dit tout. « Des centaines de familles passeront Noël à l’hôpital », résume la nouvelle publicité de la Fondation CHU Sainte-Justine, qui rappelle que la maladie ne prend pas congé pendant les Fêtes. Le conteur Fred Pellerin et sa fille Marie-Fée, porte-parole de cette campagne, en savent quelque chose : Marie-Fée a reçu un diagnostic de cancer un 24 décembre il y a quelques années.

Lorsqu’il a raconté son cauchemar de père à Tout le monde en parle, j’ai rarement vu Fred Pellerin aussi vulnérable. Ça se comprend. Quoi de pire que la perspective de perdre son enfant ? Ce n’est pas dans l’ordre des choses, c’est un scandale qu’on refuse de toutes ses fibres.

Mais Marie-Fée s’en est tiré, il y a de l’espoir, alors n’hésitez pas à donner à la recherche pour le cancer, cette saleté en latence dans trop de corps, jeunes ou vieux, qui bousille tant de gens et leurs familles. Je pense à Karl Tremblay, à Michel Côté, à mon ami l’écrivain Simon Roy, à Caroline Dawson, à ma cousine en rémission, dans une alternance entre morts et survivants.

J’aime Noël et j’haïs Noël en même temps, parce que si la joie et les retrouvailles en famille sont de mise, les souffrances sont aussi exacerbées.

C’est une épreuve, passer son premier Noël sans un être cher qui nous a quittés. Je me souviendrai toujours du premier sans mon père, particulièrement raté. J’avais mis le paquet, désespérée et en colère. Je voulais quand même rassembler mes proches, alors que mon père venait de mourir d’une crise cardiaque trois mois avant. Je me disais qu’on n’allait certainement pas brailler chacun dans notre coin la veille de Noël. Alors immense sapin, gros buffet, cadeaux pour tout le monde, j’avais même déguisé mon regretté chien en lutin.

Mais à ce Noël 2005, c’était moi, la dinde. Farcie de bonnes intentions. Personne n’avait le goût de fêter, à commencer par ma mère, devenue brutalement une jeune veuve. J’ai encore de la difficulté à regarder les photos de cette soirée où son chagrin transperce chaque image. Les invités étaient stressés et s’attendaient à ce qu’on craque à tout instant, ce qui fut fait lorsqu’on a levé notre verre à la mémoire de mon père sur le coup de minuit. Épuisée par la peine de l’orpheline et le stress de l’hôtesse, je suis allée me coucher tout de suite après, complètement soûle parce que je n’avais pas été capable de manger, avec mon cœur brisé et mon estomac noué.

Pourquoi n’ai-je pas annulé ? C’est correct de sauter un Noël quand on est en deuil, encore plus si c’est nous qui recevons d’habitude. Ce n’est pas un cadeau à faire à personne, croyez-moi. Mais j’étais tellement furieuse contre le destin qui m’avait enlevé mon père trop tôt, tellement dans le déni qu’il soit parti pour toujours, que j’ai pensé que je devais être forte pour tout le monde et que la vie pouvait continuer comme avant.

La vie ne revient jamais comme avant, nous avançons simplement avec nos blessures, et l’Amérique ne sera pas great again puisqu’elle ne l’a jamais été. L’Amérique pleure en achetant des cadeaux et des décorations dans les Dollarama.

Noël ne sera pas facile cette année pour les grévistes du Front commun, les employés de TVA et de Radio-Canada qui vont perdre leur emploi, les familles qui ont vu leur loyer ou leur hypothèque doubler en même temps que la facture d’épicerie. Et je me demande si toutes ces difficultés n’affectent pas les dons aux organismes et fondations qui soutiennent les bonnes causes, pendant qu’on donne de l’argent à des équipes de hockey déjà riches.

En même temps, j’ai toujours refusé cette idée que la vie n’est qu’une vallée de larmes – en particulier lors de ce Noël 2005 où j’aurais dû prendre un break. C’est important, la fête et la joie, sinon nous ne passerions pas au travers de l’existence. Si vous avez l’amour, la santé et un peu de bouffe, laissez faire tout le clinquant inutile et la course aux achats. Célébrez le plaisir d’être ensemble – surtout qu’on a eu notre lot de Noëls ratés avec la pandémie – et invitez les esseulés (chez moi, c’est toujours un devoir de recevoir tout le monde). Mais soyez compréhensifs envers ceux et celles qui, pour une raison ou une autre, n’auront pas le cœur à la fête. La compréhension et l’empathie peuvent parfois être de très beaux cadeaux.