Parmi les nombreuses publications de 2023, j’ai été impressionnée par la quantité de portraits de femmes ou par leur prise de parole, sous toutes les formes : entretiens, essais, enquêtes, romans. En tout cas, j’ai senti un fil conducteur dans mes choix personnels, de ces lectures qui m’ont le plus stimulée.

Parus au début de l’année, les entretiens de Lise Bissonnette menés par Pascale Ryan ont été une belle surprise. On y trouve non seulement le parcours intellectuel de celle qui a dirigé Le Devoir et mené le projet de la Grande Bibliothèque, mais aussi un peu de l’histoire du Québec depuis la Révolution tranquille, de même qu’une défense brillante des institutions par le verbe très précis de la dame qui est d’une grande cohérence. À propos de la Grande Bibliothèque, qui avait son lot de détracteurs au début, elle rappelle ceci : « La dernière fois que le gouvernement du Québec avait créé une institution, c’était en 1968, avec le réseau de l’Université du Québec, une implantation qui s’est échelonnée à Montréal et en région jusqu’à la fin des années 1970. Plus rien ensuite, pendant un quart de siècle. Les décennies suivantes allaient appartenir au privé, la Révolution tranquille avait fait son temps, on croyait en avoir fini avec tous les rattrapages de services aux citoyens. »

Une trajectoire professionnelle remarquable que celle de Lise Bissonnette, née en 1945 en Abitibi, et qui n’a cessé de vouloir combler ses lacunes jusqu’à se lancer très tard dans un doctorat sur le fils de George Sand, malgré plusieurs doctorats honorifiques.

J’admirais déjà Lise Bissonnette, ces entretiens ne font qu’augmenter mon respect envers elle, qui a beaucoup donné au Québec.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Dorion

Le parcours de Catherine Dorion au sein de l’institution démocratique a été plutôt court et mouvementé, mais s’il y a un livre qui a fait jaser cette année, pour le meilleur comme pour le pire, c’est bien le sien, Les têtes brûlées – Carnets d’espoir punk. On aurait tort de se priver du regard idéaliste de la députée de Québec solidaire qui a été déçue par l’aventure, car il faut comprendre ceux qui sont animés par l’envie de faire de la politique autrement. En tout cas, ce livre permet à Catherine Dorion de sortir du clip médiatique, mais libre à vous d’être d’accord ou pas avec ses positions, et je vous jure que la lecture n’est pas plate. J’ai aussi beaucoup aimé Porter plainte, de Léa Clermont-Dion, qui raconte en détail et avec beaucoup de candeur le processus dans lequel elle est entrée en dénonçant son agresseur, alors que le mouvement #metoo éclatait sur la planète.

Nous avons ici deux jeunes femmes qui racontent de l’intérieur leur expérience de la politique et de la justice, et elles le font avec franchise.

Par l’entremise d’un premier roman, c’est une autre expérience de l’intérieur que décrit Emmanuelle Pierrot dans La version qui n’intéresse personne, assurément l’un des livres les plus acclamés de l’automne. Pierrot révèle dans une langue vivante et efficace une terrifiante mécanique visant à broyer les femmes même au sein d’une communauté marginale où on se serait attendu à plus d’ouverture. Je ne connais pas de lecteurs qui sont sortis indemnes de cette lecture – les derniers chapitres m’ont presque causé une crise d’anxiété. Dans un tout autre style, et qui n’est pas dénué d’humour malgré un sujet grave, Les cookies de l’apocalypse – ou comment j’ai été annulée par l’innommable, d’Annie Du, a de quoi surprendre ; c’est une charge à fond de train sous forme de fragments échevelés à propos du #metoo littéraire d’ici, de la part d’une autrice qui a survécu à l’agression d’un éditeur et… aux punaises de lit.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Élise Turcotte

Parmi les plus beaux portraits de femmes artistes qu’on a pu lire cette année, il y a certainement Ça aurait pu être un film, de Martine Delvaux, et Autoportrait d’une autre, d’Élise Turcotte. Delvaux tente de percer le mystère de la peintre Hollis Jeffcoat qui a vécu dans l’ombre de deux géants, Joan Mitchell et Riopelle, tandis que Turcotte enquête sur la vie de sa tante Denise Brosseau, qui a été la femme d’Alejandro Jodorowsky et de Fernando Garcia Ponce. Dans les deux cas, ce sont des projets de films avortés qui ont conduit à l’écriture de ces livres où l’on réfléchit sur la place réservée aux femmes dans le monde artistique.

La façon dont on meurt ne saurait résumer la richesse d’une existence, mais on a envie de dérouler le fil des évènements quand on est face à quelqu’un en fin de vie, en particulier quand il s’agit de notre mère. Voir sa mère vieillir et mourir nous oblige à penser à notre propre fin. C’est sur le conseil de l’écrivaine Carole David que j’ai eu envie de lire Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, du philosophe Didier Eribon, qui m’a donné le motton tout le long.

En s’inspirant du dépérissement et de la mort de sa propre mère, Eribon analyse notre rapport à la vieillesse aujourd’hui, et je peux vous dire qu’il appuie sur plusieurs points douloureux.

Je m’en voudrais de ne pas inclure ici La vie de ma mère, de mon ancienne collègue Nathalie Petrowski, qui se lit d’une traite comme une bonne chronique qu’on ne veut pas voir finir. À elle aussi, la mort de sa mère, Minou Petrowski, a inspiré une réflexion sur leur relation conflictuelle. J’avoue avoir lu ce livre davantage pour comprendre la fille que la mère, que j’ai peu connue, et je n’ai pas été déçue. J’ai même beaucoup ri, en plus d’être émue par les lignes de faille de ces deux femmes-là.

  • Lise Bissonnette – entretiens, Pascale Ryan, Boréal, 210 pages

    PHOTO FOURNIE PAR BORÉAL

    Lise Bissonnette – entretiens, Pascale Ryan, Boréal, 210 pages

  • Les têtes brûlées – carnets d’espoir punk, Catherine Dorion, Lux, 376 pages

    PHOTO FOURNIE PAR LUX

    Les têtes brûlées – carnets d’espoir punk, Catherine Dorion, Lux, 376 pages

  • Porter plainte, Léa Clermont-Dion, Cheval d’août, 224 pages

    PHOTO FOURNIE PAR CHEVAL D’AOÛT

    Porter plainte, Léa Clermont-Dion, Cheval d’août, 224 pages

  • Les cookies de l’apocalypse – Ou comment j’ai été annulée par l’innommable, Annie Du, Varia, 166 pages

    PHOTO FOURNIE PAR VARIA

    Les cookies de l’apocalypse – Ou comment j’ai été annulée par l’innommable, Annie Du, Varia, 166 pages

  • La version qui n’intéresse personne, Emmanuelle Pierrot, Le Quartanier, 368 pages

    PHOTO FOURNIE PAR LE QUARTANIER

    La version qui n’intéresse personne, Emmanuelle Pierrot, Le Quartanier, 368 pages

  • Ça aurait pu être un film, Martine Delvaux, Héliotrope, 325 pages

    PHOTO FOURNIE PAR HÉLIOTROPE

    Ça aurait pu être un film, Martine Delvaux, Héliotrope, 325 pages

  • Autoportrait d’une autre, Élise Turcotte, Alto, 280 pages

    PHOTO FOURNIE PAR ALTO

    Autoportrait d’une autre, Élise Turcotte, Alto, 280 pages

  • Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, Didier Eribon, Flammarion, 336 pages

    PHOTO FOURNIE PAR FLAMMARION

    Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, Didier Eribon, Flammarion, 336 pages

  • La vie de ma mère, Nathalie Petrowski, Les éditions La Presse, 136 pages

    PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

    La vie de ma mère, Nathalie Petrowski, Les éditions La Presse, 136 pages

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