Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête d’Anna Marks qui, dans un très long texte publié dans les pages d’opinions du New York Times, multiplie les « indices » laissant croire que Taylor Swift serait lesbienne ou bisexuelle ?

Ce texte de 5000 mots, publié le 4 janvier dernier dans le quotidien américain et intitulé « Look What We Made Taylor Swift Do » (Regardez ce qu’on a poussé Taylor Swift à faire), est une interminable enfilade d’hypothèses spéculatives qui tentent de nous convaincre que la chanteuse la plus populaire sur la planète en ce moment fait partie de la communauté LGBTQ+.

Lisez l’article (en anglais ; abonnement requis)

Soyons francs, sous prétexte d’aborder sérieusement le sujet de l’homophobie, Anna Marks fait de l’outing, une pratique que je juge totalement inacceptable. Bien sûr que je trouve dommage que des personnalités (et j’en connais plusieurs) refusent de parler publiquement de leur homosexualité. Mais c’est leur droit. Il n’appartient à personne de faire de l’outing ou d’insinuer, comme on le fait avec Taylor Swift, qu’une personne cache sa véritable nature.

Si Taylor Swift est lesbienne ou bisexuelle, ça la regarde, point barre. Et si elle est une hétéro bien dans sa peau qui souhaite exprimer son soutien à la communauté LGBTQ+, ça la regarde aussi.

Mais de grâce, ne tombons pas dans une chasse aux sorcières enrubannée de théories intellectuelles sur l’homophobie (ce que fait Anna Marks).

Pour soutenir son idée, l’auteure de ce guest essay revient d’abord sur Chely Wright, une chanteuse américaine de musique country qui a dû attendre des années avant de « sortir du placard » parce que le milieu dans lequel elle évoluait était hostile aux artistes faisant partie de la communauté LGBTQ+.

Anna Marks reprend les mots de Chely Wright et en vient à la conclusion que nous avons besoin de modèles et de héros. Je suis d’accord. « Et si le nom de ce héros était Taylor Swift ? », demande-t-elle.

L’auteure fait ensuite une plongée en eaux troubles en multipliant les exemples de textes ou de gestes qui, selon elle, démontrent que Taylor Swift n’est pas vraiment hétérosexuelle. La lecture de ce texte donne littéralement des hallucinations.

Anna Marks souligne que le 26 avril, Journée de la visibilité lesbienne, Taylor Swift a lancé le premier extrait de l’album Me dans lequel elle chante l’amour de soi et l’acceptation de soi.

Elle rappelle aussi que le 14 juin, alors qu’on soulignait le 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, la chanteuse a publié la vidéo de You Need to Calm Down dans laquelle elle et des célébrités queer (les animateurs de Queer Eye, Ellen DeGeneres, Billy Porter, Hayley Kiyoko, etc.) expriment leur combat contre l’homophobie.

S’il fallait qu’on spécule sur l’orientation sexuelle des personnalités, des chroniqueurs et des artistes chaque fois que ceux-ci s’expriment sur le sujet, on n’en finirait plus.

Et s’il fallait décortiquer les textes des chansons pour tenter de savoir si tel ou tel artiste est gai, bi ou non binaire, on sombrerait dans le délire. Peut-être que sous les traits de la fameuse « dame en bleu » de Michel Louvain se cachait un homme ? Peut-être aussi que dans sa chanson Dangereuse attraction, Marie-Mai place des messages codés. Allez donc savoir !

Ce n’est pas d’hier que des rumeurs courent au sujet de l’orientation sexuelle de Taylor Swift. Sa relation d’amitié avec le mannequin Karlie Kloss a fait naître le terme « Kaylor ». Maintenant que les deux femmes ont pris leurs distances, ceux qui aiment nourrir l’idée que Taylor Swift est lesbienne utilisent l’expression « Gaylor ».

La publication du texte d’Anna Marks suscite évidemment beaucoup de réactions. Les admirateurs de la chanteuse se déchaînent sur les réseaux sociaux. Certains réclament le retrait du texte. Le New York Times et Taylor Swift n’ont pas donné suite à cette affaire. L’article a toutefois été jugé « intrusif, inexact et déplacé » par une personne de l’entourage de Taylor Swift, a rapporté CNN.

Ce n’est pas la première fois qu’Anna Marks parle de la question du flou pouvant entourer l’orientation sexuelle d’une personnalité. En août 2022, elle a signé un texte sur le chanteur Harry Styles (« Harry Styles Walks a Fine Line ») dans lequel elle se demande si le chanteur est gai ou s’il pratique le queerbaiting, une tactique qui sert à séduire le public LGBTQ+.

Le texte d’Anna Marks sur Taylor Swift n’est pas dénué d’intérêt, loin de là. Il aborde de nombreuses facettes de l’homophobie et de l’importance de modèles LGBTQ+ provenant de tous les milieux.

On l’a vu ces dernières années. Plus les exemples positifs de gais, lesbiennes, bisexuels ou transgenres apparaissent dans l’espace public, plus les préjugés tombent.

Et plus une forme de banalisation s’installe dans les médias, dans les milieux de travail, dans les familles et les réseaux d’amis. Un couple de gais dans une série télévisée grand public est devenu une chose courante de nos jours, du moins au Québec. N’est-ce pas formidable ?

Mais ce n’est pas en forçant la main et en pratiquant l’outing, qu’il soit fondé ou pas, que nous ferons avancer les choses.

En écrivant ce texte, l’auteure place Taylor Swift dans une fâcheuse situation. Si la chanteuse ne réagit pas ou réfute les hypothèses publiées, les adeptes du « Gaylor » croiront encore plus qu’elle cache son homosexualité ou qu’elle renie la communauté LGBTQ+.

Et si elle entre dans le jeu des explications de ses textes et de ses gestes, elle se voit contrainte de dire bêtement qu’en tant qu’artiste hétérosexuelle, elle a le droit d’être une alliée de la communauté LGBTQ+.

Ce qui m’apparaît complètement dépassé en 2024.