Le public a zéro embarqué dans la « mouvance » non genrée, le milieu télévisuel non plus. Résultat ? Les catégories d’interprétation mixtes disparaissent du gala des prix Gémeaux, qui recule, bip, bip, et revient à la formule classique, celle des Emmy et des Golden Globes, qui sépare les hommes des femmes.

Enfin, l’Académie qui chapeaute cette cérémonie retrouve ses sens. Personne au Québec n’avait activement milité pour l’implantation de ces catégories unisexes, qui n’auront duré qu’une seule année, Dieu merci. Une bonne décision, qui en corrige une mauvaise.

La présidente du conseil d’administration de l’Académie, Caroline Gaudette, a admis jeudi que le public souhaitait voir un gala rassembleur qui lui ressemble. « Le public aime ses vedettes et aime voir ses vedettes. Le public se reconnaissait beaucoup moins dans ce choix-là », précise-t-elle.

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Chantal Côté, directrice générale de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision, section Québec, et Caroline Gaudette, présidente du C.A.

Dans les faits, l’Académie a unilatéralement imposé les récompenses mixtes, l’an passé, sans même avertir son partenaire Radio-Canada, qui diffuse pourtant la fête de la télé québécoise. Les patronnes du diffuseur public ont appris, en même temps que les journalistes, que leur gala empruntait la même route « dégenrée » que celui des Prix Écrans canadiens de Toronto, qui ne suscite aucun intérêt, quel évènement assommant. Mettons que la pilule avait difficilement passé.

Avec le recul, l’Académie reconnaît des lacunes dans l’explication des changements et dans la communication de ses intentions. Bref, c’est allé trop vite, tout croche.

À l’interne, la majorité des 1000 membres de l’Académie au Québec, qui réunit producteurs, acteurs, réalisateurs, scénaristes et autres artisans de l’audiovisuel, poussait pour un retour vers le futur, soit le rétablissement des catégories d’interprétation féminine et masculine.

Depuis le gala controversé de septembre, où Indéfendable a battu STAT – personne n’a encore compris comment et pourquoi –, plusieurs producteurs importants ont dénoncé les coûts exorbitants que facture l’Académie pour s’inscrire et participer aux Gémeaux. En 2023, Louis Morissette de KOTV (Zénith, L’œil du cyclone) a allongé 60 000 $ pour rejoindre les festivités de la télé. C’est beaucoup, beaucoup d’argent, surtout en cette période moins faste pour le petit écran.

À propos de ces notes salées, l’Académie offre un rabais de 15 % sur toutes les inscriptions faites avant le 2 février. On se croirait au Vendredi fou, faites vite ! La directrice générale de l’Académie, Chantal Côté, rappelle que les frais d’adhésion sont gelés depuis quatre ans et qu’ils se comparent à ceux exigés pour des galas similaires aux États-Unis et en Europe.

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Visite du plateau de STAT. Au centre, la productrice Fabienne Larouche.

Hélas, l’annonce de ces changements n’a pas convaincu les dissidents des Gémeaux de rentrer au bercail. Non, Fabienne Larouche ne soumettra pas STAT dans la prochaine course aux trophées, ce qui éliminera la catégorie des séries quotidiennes, qui fusionnera avec celle des téléromans.

« L’Académie ne nous a pas consultés, mais en lisant son communiqué, on comprend que sa priorité, c’est le financement. Donner 15 % de rabais, comme pour une passe de ski, et ensuite ajouter des catégories pour le financer. Le problème restera toujours le même, il est systémique. Les Gémeaux se gagnent par les cartes de membre. Reste que la formule doit être repensée dans ses fondements, dans sa pertinence et, surtout, dans la manière de la financer », estime Fabienne Larouche, d’Aetios (STAT, Doute raisonnable, À cœur battant).

Alexis Durand-Brault et Sophie Lorain, qui codirigent la boîte ALSO (Mégantic, Projet innocence), boycotteront eux aussi la prochaine remise des statuettes dorées. « C’est une bonne décision de ramener les catégories genrées. Reste que ça ne nous tente pas de revenir. Je n’ai pas 60 000 $ à dépenser là-dedans. Si un acteur veut s’inscrire, qu’il m’appelle, je n’ai pas l’intention de nuire à personne », indique Alexis Durand-Brault.

Le producteur Guillaume Lespérance de chez A Média (Discussions avec mes parents, Temps de chien) s’est dit déçu de voir le nombre de catégories gonfler de 91 à 109. Il y avait 144 catégories en 2022, ce qui était beaucoup trop. « Je pensais que l’Académie ferait un plus grand ménage. C’est ridicule qu’il y ait autant de prix. J’avais décidé de rester et de ne pas quitter complètement. Je vais réfléchir à tout ça », confie Guillaume Lespérance.

Le patron d’Attraction (Les chefs !, L’amour est dans le pré), Richard Speer, tergiverse encore à l’idée de se retirer (ou non) du concours des Gémeaux.

Parmi les autres modifications, le poids des cotes d’écoute, qui comptait jusqu’à 20 % dans l’attribution d’un Gémeaux à une émission, a été revu à la baisse. Il ne comptera désormais que pour 10 %, mais uniquement pour les téléromans et les séries quotidiennes. Dans le cas des séries dramatiques et des téléréalités, par exemple, leur popularité aux audimètres de Numeris ne pèsera plus du tout dans la balance finale.

La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé et Mégantic, deux titres du Club illico, ont souffert de cette règle du 20 % l’an passé. Comme ces séries n’avaient pas été diffusées à la télévision traditionnelle, leur écoute n’a pas été mesurée et ils ont automatiquement perdu les 20 points basés sur les sondages de Numeris.

Selon Louis Morissette de KOTV, ces changements progressent dans la bonne direction, « mais je vais couper dans les inscriptions, c’est certain. La business est difficile et je devrai faire des choix », dit-il.

Et Louis Morissette, comme bien d’autres gens influents du showbiz, déplore un certain snobisme dans l’octroi des Gémeaux. « Certains shows, comme Le maître du jeu, ne seront jamais les préférés de l’Académie », note-t-il, pas du tout fâché, mais résigné. Le slogan de 2024, semble-t-il.