Annoncée en grande pompe par de multiples articles, l’émission Éric Lapointe face à ses démons, une entrevue spéciale d’une heure diffusée à TVA dimanche dernier, consacrée au chanteur qui n’avait pas parlé aux médias depuis quatre ans, soit depuis son arrestation et sa condamnation pour voies de fait envers une femme, était difficile à rater. Cela n’a pas empêché Lapointe de faire des spectacles pendant ces années – peu d’artistes d’ici peuvent se vanter d’avoir une base de fans aussi solide que la sienne.

Sans être une admiratrice, je n’ai jamais rien eu contre celui qu’on surnomme « Ti-Cuir », même que j’aime parfois beugler Rien à regretter dans les karaokés. J’ai trouvé Sophie Durocher très correcte dans cette entrevue et Éric Lapointe, honnête et repentant, quoiqu’un peu laconique et redondant. J’avoue cependant ne pas avoir très bien compris le but de cet exercice, à heure de grande écoute, sinon qu’il servira de test à la réhabilitation médiatique de Lapointe. En gros, je pense qu’après cette entrevue, la question qui se posera est si on peut réinviter le rockeur le plus connu du Québec dans les émissions de télé, maintenant qu’il a fait publiquement son mea culpa.

Il a dit les bonnes choses, même si ça sentait un peu les lignes de communication à marteler comme un politicien. Rien n’excuse son geste, surtout pas l’alcool, et il en accepte les conséquences. « Ce n’est pas l’alcool qui a posé le geste, c’est moi », a-t-il déclaré, et il n’y avait rien d’autre à dire là-dessus.

Dans ma vie, je connais des gens que j’aime qui luttent contre l’alcoolisme, j’en connais qui en sont morts. C’est une horrible maladie qui fait des ravages. Mais il y a des alcooliques qui, même ivres morts, sont incapables de violence. Éric Lapointe a admis avoir posé la main sur la gorge de sa victime et l’avoir poussée sur un mur, après une soirée arrosée pour ses 50 ans. « La violence n’est pas ce qui me définit », a-t-il dit. Soit, mais on ne me fera pas croire qu’il n’y a pas quelque chose de toxique dans une relation avec un homme intoxiqué, qui peut mener là.

SAISIE D’ÉCRAN DE L’ÉMISSION ÉRIC LAPOINTE FACE À SES DÉMONS

Éric Lapoint et Sophie Durocher

« J’ai perdu le contrôle », a admis Éric Lapointe, qui n’a jamais vraiment eu le contrôle sur sa dépendance. Pour qu’on vous plonge dans un coma artificiel afin d’éviter la psychose, c’est que vous avez vraiment abusé de l’alcool sur le long terme. Le piège est que vous continuez à boire pour ne pas tomber en sevrage, cela n’a plus rien à voir avec la volonté ; il faut une aide médicale pour arrêter, sinon, vous pouvez en crever. La plus longue période d’abstinence d’Éric Lapointe n’a pas dépassé neuf mois, lui qui dit boire depuis l’adolescence et n’avoir jamais écrit une chanson à jeun. Le combat de sa vie, dit-il, et ça, je n’en ai aucun doute.

Pour les besoins de l’entrevue, Éric Lapointe était sobre depuis un mois seulement. Ça paraissait, car ce n’est pas un petit mois qui recrinque tout à fait un homme après des années d’abus, et pas que d’alcool. Les traits tirés, les yeux bouffis, il semblait fatigué et sa parole était laborieuse par moment. Nous avons eu droit à une photo du chanteur dans son lit d’hôpital pendant son coma, et je n’ose imaginer une radiographie de son foie.

Nous avons entendu ce que nous entendons habituellement dans ce type de confessionnal télévisé. Éric Lapointe s’excuse maintes fois envers sa victime, accepte la responsabilité de sa dérape, dit qu’il a beaucoup « cheminé » en thérapie, conseille aux hommes d’aller consulter, parle de ses enfants, et c’était plutôt un sans-faute.

Mais si on lit entre les lignes, on sent bien qu’il n’a pas accepté cette entrevue pour conscientiser le public sur la dépendance, il n’est pas rendu où s’est rendu Jean Lapointe ; c’était une demande polie de retour sous les projecteurs.

S’il a continué à faire des spectacles, il a aussi perdu le lucratif contrat de La voix ainsi que des publicités ; des collaborateurs et des festivals hésitent à associer leurs noms au sien, et on ne le voit plus à la télé. Au fond, il vient tâter le terrain pour voir si sa « punition » a assez duré, ce n’est pas le premier ni le dernier à le faire.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Lapointe, lors d’un spectacle à l’occasion de la fête nationale du Québec au parc Jean-Drapeau, le 23 juin 2019

Outre la célébrité, son autre avantage demeure ce côté « bad boy », comme ce fut le cas autrefois pour Claude Dubois, qui avait été condamné pour possession de drogue. En ce sens qu’on n’attend pas de ces hommes-là qu’ils soient des enfants de chœur, on n’est pas surpris quand ils font les manchettes pour de mauvaises raisons, mais ils doivent demeurer dans les limites de la loi et d’un certain consensus social qui a heureusement évolué en ce qui concerne la violence conjugale. Dans le cas de Lapointe, qui a plaidé coupable, il a reçu une absolution conditionnelle, c’est-à-dire qu’il doit se soumettre à une thérapie, ne doit pas communiquer avec la victime et n’aura pas de casier judiciaire après trois ans.

Reste maintenant le sujet de la « deuxième chance » – c’est la première condamnation de Lapointe pour voies de fait – et ce sera au public d’en décider, mais encore plus à ceux qui décident de qui passe en ondes ou pas. J’ai toujours cru à la seconde chance, mais je crois aussi qu’à TVA, où on lui a accordé une heure d’entrevue pour s’expliquer, nous avons un début de réponse.