Dire qu'il était attendu, ce quatrième volet du quatuor Le sang des promesses, est un euphémisme. L'objet s'intitule Ciels. Et tout comme ses prédécesseurs Littoral, Incendies et Forêts (que les festivaliers d'Avignon ont vus dans la cour du Palais des papes,) il y est question de promesses qui font couler du sang, de destins croisés, de climats guerriers, de transmission.

Mais cette fois-ci, dans Ciels, c'est la beauté, l'art, la poésie qui sont les cibles de la menace. Plus qu'auparavant, Wajdi Mouawad cherche à déstabiliser et secouer le public. Le sortir de son confort. Lui faire subir un choc, voire même tester ses limites, le provoquer, l'insupporter.

Il y a d'abord ce lieu théâtral étrange, sorte de grande boîte érigée en plein centre d'un lieu qui s'appelle le Parc des expositions de Châteaublanc. Les spectateurs, divisés en quatre groupes, pénètrent dans une grande pièce blanche et sont invités à s'asseoir sur des petits bancs blancs rotatifs. Claustrophobes, accrochez-vous. 

Aucun indice ne nous permet de savoir de quel côté de la pièce se trouve la scène. Le spectacle débute par des sons. Puis, surgissent deux personnages et ensuite, des panneaux s'ouvrent et dévoilent la scène principale, où l'on retrouve ce qui ressemble à une salle d'espionnage informatique. Il est question d'un attentat terroriste, d'une énigme à résoudre, et aussi du suicide d'un des membres du groupuscule d'espionnage.

Avec Ciels, Wajdi se fait beaucoup plus grave. Il emploie une langue plus éloquente, plus poétique, faisant de ses personnages des héros dramatiques toujours en proie à de grandes tirades qui brûlent d'urgence.

Ajoutant à cette flèche lancée dans la sensibilité du spectateur, il y a l'utilisation des quatre côtés de la scène, où se trouvent des écrans (où l'on retrouve notamment Gabriel Arcand dans le rôle du suicidé) et des scènes où gravitent les acteurs. Et il y a aussi une sollicitation des sens, notamment par une utilisation du son qui tantôt nous enveloppe dans un concert chaotique ou encore nous plonge dans un concert reproduisant l'assourdissante symphonie d'un bombardement.

Pour certains spectateurs qui ont vécu des temps cauchemardesques, (comme mon voisin de gauche qui se bouchait les oreilles tout en regardant fixement le sol) ces moments se sont avérés complètement insupportables.  

Une expérience des sens, donc, que cette épopée plus intime qui reprend finalement plusieurs thèmes chers à Wajdi Mouawad. Or, en passant par la menace terroriste qui continue de causer la frayeur- triste coïncidence, que la première du spectacle se tienne aux lendemains des attentats de Jakarta- Wajdi se déplace vers de nouveaux lieux. Vers le danger que représente la pensée des artistes sur l'ordre. Vers la transmission et l'éveil adolescent. Vers le triomphe de la vie. Et ultimement, vers l'infinie beauté de ce qui nous dépasse et nous enveloppe, qui survit quand tout le reste n'est plus.

Tout cela est exigeant, inconfortable, intolérable par moments, trop sérieux, sanguinaire, tragique, complexe, intellectuel, baroque... Le cri d'un artiste qui sent l'attaque d'un système sur ce qui fait la beauté, la poésie. Cela nous assourdit, nous insupporte. Mais ne nous aveugle point.