Le scénariste Marc Robitaille est l'auteur d'une centaine de sketchs d'Un gars, une fille. Il a signé les récits des films Des histoires d'hiver et Noémie, une adaptation des romans pour enfants de Gilles Tibo dont la sortie est attendue en décembre prochain. Ce natif de Sainte-Foy a en outre scénarisé son roman, le très émouvant Un été sans point ni coup sûr, dans lequel l'année 1969 sert de toile de fond aux aventures d'un garçon de 12 ans. Avec tendresse et un peu de nostalgie, le roman évoque le charme et l'euphorie de cette année bien spéciale. La Presse a demandé à l'auteur pourquoi cette année l'a marqué.

Q: Quel âge aviez-vous en 1969?

R: J'avais 12 ans, ce qui colore beaucoup tout ce que je vais vous dire.

Q: Dans Un été sans point ni coup sûr, on suit avec les yeux d'un enfant de 12 ans toutes les turbulences de l'année 1969, la drogue, la guerre, l'homme sur la Lune, les bouleversements sociaux. On y voit un prof qui ne croit pas aux devoirs, des loges d'entreprise vendues 350$ par année. Ce n'est pas votre biographie, mais on sent une belle nostalgie pour cette année-là. Pourquoi aimez-vous l'année 69?

 

R: Il y a vraiment un très grand charme qui émane de l'époque. Il y avait une certaine naïveté, comme si, collectivement, on voyait les choses avec une certaine fraîcheur. Encore en 69, l'avenir était perçu comme plus prometteur que le présent. Je ne crois pas qu'on puisse dire ça aujourd'hui. Si on faisait un grand sondage, pas sûr que les gens répondraient ça aujourd'hui. Il y a une chanson qui date de 1969, dont le titre est Something in the Air. Il y avait effectivement quelque chose dans l'air. Ça se reflète souvent dans les chansons.

Q: Qu'est-ce qui vous a marqué de cette époque?

R: C'est drôle, ce qu'on retient d'une époque, par la suite, ce sont des icônes. On dit que 1969, c'est Jimi Hendrix, c'est Woodstock, ce sont les Doors, les cheveux longs, Robert Charlebois. Mais ce n'est pas ça, 69. Je vais vous dire ce que c'était. C'était Love is Blue, de Paul Mauriat. C'était Sugar Sugar, des Archies. C'était Éloïse, de Donald Lautrec. Le mainstream, ce n'était pas Woodstock, ce n'était pas Jimi Hendrix; ça ne faisait pas tant partie du paysage que ça. On ouvrait la télé et c'était Dean Martin qu'on voyait, qui faisait des jokes de mononcle avec un cocktail à la main. De temps en temps, il invitait un chevelu comme Tiny Tim. C'était presque un freak; il avait les cheveux très longs, un nez immense, et il chantait une chanson ridicule qui s'appelait Tiptoe Through the Tulips. Mais les Beatles ne passaient pas à Dean Martin. Robert Charlebois? C'est complètement marginal si on compare à Pierre Lalonde ou à Donald Lautrec. L'impact est immense, mais il vient après.

Q: Qu'est-ce qu'on ressentait à l'époque, quels étaient les changements qui touchaient tout le monde?

R: La grande modernité. La télé couleur, c'était une grosse patente. Je me souviens de m'être habillé chic pour aller chez mon voisin avec mes parents, pour aller voir le hockey. Le Canadien jouait contre St. Louis en séries de la Coupe Stanley. En 69, au Québec, on est encore dans l'excitation matérielle de l'après-guerre. Chez mes parents, c'est la grande excitation d'avoir une maison plus grande que celle de leurs parents; d'avoir un char; d'avoir une laveuse automatique, une sécheuse. Sécher le linge sur la corde, c'était presque un déshonneur.

Q: Ça ressemble à l'ambiance qu'on associe maintenant aux États-Unis des années 50, l'époque Papa a raison...

R: Oui, les gens étaient tellement heureux de ne plus être dans la Grande Dépression, de s'éloigner des incertitudes de la Deuxième Guerre mondiale, tellement contents d'avoir des bébelles. Mais il y a maintenant un révisionnisme par rapport à cette époque, comme si les gens étaient tous des hypocrites, qu'ils étaient en fait très malheureux. Vous avez vu le film Pleasantville? À mon avis, c'est du grand révisionnisme. Ils disent: sous l'apparence extrêmement doucereuse et très jolie, il y avait beaucoup d'hypocrisie et de racisme, et des ménagères extrêmement malheureuses...

Q: Et c'est faux? Les gens n'étaient pas si malheureux que ça?

R: C'est aussi faux que Papa a raison. Les femmes ont eu plus de liberté à cette époque-là qu'elles n'en ont eu avant, bien sûr, mais aussi par la suite. Mes amies, aujourd'hui, elles sont toutes en épuisement professionnel, tout le monde est fatigué et travaille, travaille et court après les enfants. Moi, ma mère, elle passait vraiment l'aspirateur en tailleur, c'est vrai! Ma mère a été extrêmement heureuse ainsi, de ne pas travailler. Elle était très bien en tant que reine du foyer.

Q: Avez-vous des enfants?

R: Oui.

Q: Vous aimeriez les élever dans un contexte qui ressemblerait à 1969?

R: Oui! On essaie de le faire sans être anachronique. Par exemple, on n'a pas vraiment la télé, on n'a pas le câble. Ils connaissent l'existence de Loft Story, mais ils ne l'ont jamais vue. On essaie de laisser de côté ce qu'on ne trouve pas amusant.

Q: Donc, dehors le cynisme? Vive une certaine naïveté?

R: Oui, il faut quand même qu'ils vivent dans le monde de 2009, parce que ça va leur retomber dessus. Mais oui, je pense qu'on est enfant seulement 12 ans dans une vie, il faut vivre ça pleinement. C'est dans le film Un été sans point ni coup sûr, d'ailleurs!