Demain, jour de la Saint-Jean-Baptiste, de repos férié et de moments festifs, le journaliste Josh Freed va probablement enfourcher son vélo et pédaler jusqu'à la petite fête de rue sur Bloomfield, non loin de son domicile. «J'ai des amis qui vont toujours là. La plupart des gens que je fréquente considèrent la Saint-Jean comme un jour férié pour la famille. Même chose pour la fête du Canada, d'ailleurs: je ne connais pas un anglo qui fête ça!»

En cette époque de dormance souverainiste et d'accalmie politique, les anglophones de Montréal n'iront quand même pas jusqu'à suspendre des drapeaux bleus à leurs balcons. Leur sentiment vis-à-vis la fête nationale du Québec semblent se situer quelque part entre la politesse, l'enthousiasme modéré et une certaine indifférence.

Benjamin Rankin, architecte d'origine néo-zélandaise établi à Montréal depuis une douzaine d'années, soulignera la Saint-Jean avec une bande d'amis en majorité anglos, pour qui le congé est un prétexte pour arroser le début de l'été. De la bière, de la musique, du barbecue, il y aura. Mais probablement pas de drapeaux, de Labatt Bleue ou de chansons de Paul Piché ou des Cowboys fringants.

«Cela m'est arrivé de fêter avec des francophones, même si je ne me sentais pas complètement le bienvenu. Comme je ne connais pas toute l'histoire de cette fête, je ne me sens pas très concerné et j'ai l'impression que ce n'est pas ma place.»

En français et dans la paix

L'Autre Saint-Jean, qui l'année dernière avait provoqué la colère de certains défenseurs d'une Saint-Jean 100% francophone, entend cette année échapper à la controverse. Le groupe United Steel Workers of Montreal se produira dans la langue de Mordecai Richler, avec une brochette d'artistes composée d'Ariane Moffatt, Fred Fortin, Mara Tremblay...

«On n'a pas reçu d'appels de menace comme l'année passée, de gens qui nous traitaient de traîtres à la nation, indique l'organisateur de l'événement, Jules Hébert. Le principe de L'Autre Saint-Jean est de fêter la scène musicale de Montréal. Pendant 45 minutes, les groupes invités font ce qu'ils veulent sur la scène, sans mise en scène télé.»

Mais y aura-t-il des drapeaux fleurdelisés ou des «Vive le Québec!» à cette fête célébrant avant tout la fierté musicale? Jules Hébert préfère nous réserver la surprise.

Aux yeux de Josh Freed, observateur privilégié des fluctuations des relations entre l'est et l'ouest du boulevard Saint-Laurent, la «controverse» de l'Autre Saint-Jean n'était rien de plus qu'une «petite chicane comme on en a tous les deux ans». «C'est le genre d'événements qui met hors d'eux les anglophones», concède le chroniqueur de la Gazette, qui a toujours trouvé «intéressantes» les frasques des fêtes de la Saint-Jean, même à l'époque enflammée où certains fanatiques brûlaient des drapeaux canadiens.

«Maintenant, il n'y a plus grand-chose qui se passe. Le climat est plus amical, les gens font des fêtes de voisinage. La plupart de mes amis sont patriotes, mais pas canadiens ou québécois. Ils ont le patriotisme montréalais, qui est moins politisé.»

James Bassil, éditeur du magazine AskMen, qui vit en plein coeur du Plateau-Mont-Royal, explique quant à lui que s'il ne célèbre jamais la Saint-Jean-Baptiste, c'est surtout pour des raisons culturelles. «Cette journée-là, je me retrouve le plus souvent dans un chalet avec des amis ou dans ma famille en Ontario. C'est comme n'importe quelle fête: si vous n'avez pas été habitué de la célébrer dans votre enfance, le rituel ne s'installe pas plus tard», dit cet Ontarien qui confie que pour lui et plusieurs de ses amis, la Saint-Jean-Baptiste a une certain aura séparatiste.

En revanche, si de sympathiques âmes francophones l'invitaient à célébrer la fierté nationale autour du barbecue, il ne se ferait pas prier pour entonner les couplets du Phoque en Alaska. «Le barbecue et la bière sont les valeurs les mieux partagées du Québec et du Canada.»

Cameron Wilson, Écossais d'origine qui a grandi dans le West Island, est du même avis. «Quand j'étais petit, à Dollard-des-Ormeaux, la Saint-Jean était une journée de congé que l'on passait à vélo, ou à jouer avec nos amis.»

De façon générale, il se rend compte que c'est la Saint-Jean le jour même, parce qu'il y a beaucoup de bruit autour de lui. Mais si des fêtards francophones l'invitaient autour de leur feu de camps, il accepterait volontiers. Surtout s'ils ont eu la délicatesse de prévoir du thé, des crackers et du fromage cheddar. «Connaissant la mentalité québécoise, je suis convaincu que je serais très bien accueilli (et même presque trop!) dans une Saint-Jean de francophones.»