Anne-Sophie La Haise, étudiante en arts plastiques au cégep Saint-Laurent veut réaliser un documentaire lors d'un prochain voyage pancanadien.

«Avec ma caméra vidéo, je veux partir et interviewer des gens qui vont me raconter leur vie. Un peu comme le fait David Lynch», raconte la jeune créatrice, rencontrée dans l'aire principale de son cégep, qui a vu naître artistiquement de nombreux peintres, cinéastes, scénaristes...

La jeune fille est loin d'être seule à caresser de telles ambitions. D'après notre enquête, près de la moitié des cégépiens, soit 47%, exerce une activité de création au moins une fois par semaine, et 20%, en exercent tous les jours ou presque. Seulement 16% n'en exercent jamais.

Après l'école, avec leurs amis ou devant leur ordi, les jeunes créent: cette activité arrive même au quatrième rang des activités culturelles les plus populaires chez nos cégépiens interviewés, devant la télévision!

Ce n'est pas seulement une question de moyens, estime Jacques Roy, membre chercheur à l'Observatoire Jeunes et société. «La cause est plus profonde. Ces sont les enfants de la civilisation du moi. Leurs parents leur ont dit qu'ils étaient beaux, fins, intelligents, et ils y ont cru. Ça donne beaucoup d'aspirations et peu d'inhibitions. Ça donne des gens qui veulent s'exprimer et créer. Ils se perçoivent comme des acteurs de leur vie.»

«Les cégépiens sont essentiellement pragmatiques, continue le sociologue. Ils sont dans la logique de l'acteur, c'est-à-dire qu'ils veulent être les acteurs de leur vie et de leurs apprentissages.»

Créer avec sa souris

Les jeunes créent et échangent du contenu beaucoup plus facilement que jadis, observe pour sa part André Caron, auteur du livre Culture mobile et professeur de communications l'Université de Montréal. «Je crois que la création de contenu pour les pages Facebook, pour les blogues, prend la place de la télé vedge, la télé que les adolescents écoutaient parce qu'ils n'avaient rien de mieux à faire.»

Internet offre en effet un formidable terrain de jeux aux apprentis musiciens, écrivains et réalisateurs. Ces dernières années, telle une immense page blanche, le web est devenu de plus en plus participatif. Et les jeunes - nés les doigts sur une souris - en profitent: d'après notre enquête, un cégépien sur trois utilise son ordinateur pour créer ou partager ses créations visuelles, vidéo, musicales, littéraires, etc.

YouTube en témoigne aussi: ils sont des milliers à y téléverser leurs clips. Il faut dire que les cégépiens d'aujourd'hui trouvent facilement des logiciels d'édition vidéo, de création musicale, de manipulation photographiques. Et même du matériel original fourni par d'autres artistes.

Quelques exemples? Un jeune artiste israélien, Ophir Kutiel (dit Kutiman) s'est fait un nom en mixant, éditant et assemblant les clips de musiciens amateurs dénichés sur YouTube pour créer des chansons toute neuves (voir www.thru-you.com).

Le site officiel de Trent Reznor, du groupe Nine Inch Nails, permet à n'importe qui de remixer ses compositions, en téléchargeant les sources sonores originales et les outils requis (voir nin.com).

Il y a plus d'un an, Reznor a même offert près de 400 gigaoctets de vidéo de sa tournée Lights in the Sky, captés en haute-définition par une équipe de tournage professionnelle. Le but de l'opération: inviter les internautes à créer leur propre «rockumentaire» sur le groupe!

À Montréal, le musicien, producteur et remixeur Poirier a récemment lancé un concours de remixes, en prévision de la sortie de Running High, son nouvel album. Près d'une cinquantaine d'internautes ont soumis leur remixes de sa chanson Enemies.

«Pour certains, ça peut être une porte d'entrée dans ce milieu. Ça parle d'abord aux fans, et encore plus à ceux qui s'adonnent à faire DJ dans des soirées, explique Ghislain Poirier. Mais j'ai été surpris de voir que la majorité de ceux qui avaient soumis leur remixes m'étaient totalement inconnus; ce n'étaient pas des DJ ou des remixeurs professionnels. Plusieurs d'entre eux étaient visiblement faits par des amateurs, mais tu sens qu'ils se sont amusés à remixer la chanson. Ça peut être motivant de travailler à partir du matériel d'un artiste que tu respectes ou que tu admires. Ça donne l'impression qu'on prend part à leur démarche».

Cette effervescence est positive en autant que la quantité n'augmente pas aux dépens de la qualité, prévient Simon Brault, président de Culture Montréal et auteur de l'essai le Facteur C. «Avec internet, les barrières à la création sont disparues. Les jeunes créateurs peuvent se diffuser directement sans passer par l'entonnoir d'une station radio ou d'un programmateur de salle. Il y a un danger de sombrer dans le culte de l'expression de soi. D'où l'importance de revaloriser l'enseignement des arts à l'école. Il faut encourager la réflexion critique sur l'art.»