Les HLM de Montréal sont sans doute les derniers endroits que les amateurs d'art public songeraient à visiter. La donne est en train de changer grâce à MU, un organisme qui tente de ramener les fresques sur les murs des bâtiments de Montréal. L'initiative pourrait même redonner à la métropole son titre de capitale canadienne de l'art mural.

Depuis le début de l'été, les 1800 résidants des Habitations Jeanne-Mance dans le Quartier latin vivent au rythme d'une métamorphose artistique. Dans le petit chalet du parc logé au coeur du complexe de logements sociaux, une dizaine de locataires bricolent des mosaïques. Une fois terminés, les motifs seront apposés sur une fresque d'une trentaine de mètres de largeur plaquée sur la façade d'une tour grise à l'aspect anonyme.

 

À l'extérieur, deux artistes superposent les couches de peinture sur le mur brun de l'un des 30 logements des Habitations Jeanne-Mance afin de créer un tableau hivernal. Aux quatre coins du site, les bacs de déchets sont ornés de motifs urbains qui évoquent la nature.

Cette revitalisation artistique est l'initiative de MU, un organisme à but non lucratif qui tente de donner à l'art mural une vocation communautaire.

Au cours des trois dernières années, l'organisation a déjà commis une douzaine d'oeuvres aux quatre coins de la ville, dont deux autres dans des HLM de Saint-Michel et de Villeray. D'autres murales ont été brossées grâce à du financement de la fondation One Drop ou pour le compte de l'Association des commerçants du Quartier latin.

«Notre but, c'est de faire de Montréal une galerie d'art à ciel ouvert», explique la cofondatrice de l'organisme, Elizabeth-Ann Doyle.

La femme de 40 ans espère que son projet pourra un jour redonner le titre de capitale canadienne de l'art mural à Montréal.

«C'était une tendance très forte dans les années 60-70. Mais la forme a véritablement pris son envol avec Expo 67, lorsque Montréal s'est mis à investir pour embellir la ville avant d'accueillir une masse de visiteurs. Cela s'est étiré jusqu'aux Jeux olympiques de 1976, pour finalement s'estomper dans les années 80.»

À partir des années 90, les murales peintes par des artistes graffiteurs sont devenues l'une des marques de commerce du paysage montréalais. Sans complètement délaisser le genre, MU a entrepris de ressusciter l'art mural, mais dans sa forme d'exécution un peu plus traditionnelle. La canette est encore utilisée, mais les rouleaux et les pinceaux sont de retour en force.

«On ne préconise toutefois pas une esthétique, précise Elizabeth-Ann Doyle. Comme Montréal est une ville éclatée, il est intéressant que l'art le reflète. Par contre, on voulait que la facture soit contemporaine.»

L'art pour tous

L'idée est également de permettre aux citoyens de se réapproprier l'art.

«Ce qui est enthousiasmant dans ce projet, c'est qu'on ne travaille pas en vase clos», explique Phillip Adams, l'un des deux artistes peintres embauchés pour créer deux murales aux Habitations Jeanne-Mance.

«On reçoit du feedback non censuré des passants tous les jours. C'est intéressant parce que leurs commentaires ne sont pas filtrés par le vocabulaire démesurément intellectualisé que l'on entend dans les galeries.»

«Leur présence a une influence sur l'oeuvre finale, ajoute son coéquipier, David Guinn. Par exemple, il y a une femme qui passe tous les jours devant la murale avec son petit chien Vénus. Sans m'en rendre compte, j'ai peint Vénus dans le haut de la première murale!»

Inspirées par Philadelphie

Doyle et sa partenaire Emmanuelle Hébert se sont rencontrées alors qu'elles travaillaient pour le Cirque du Soleil. C'est après une visite dans la ville de Philadelphie qu'elles ont eu l'idée de mettre MU sur pied. Grâce à un programme similaire fondé il y a 25 ans, 3000 murales ont été réalisées dans la ville américaine.

«Comme à Philadelphie, MU tente de démocratiser l'art, surtout auprès des jeunes. C'est pourquoi chaque fois que nous réalisons un projet, on y greffe un volet de six ateliers d'art qui leur sont destinés.»

L'an dernier, Elizabeth-Ann Doyle et sa partenaire Emmanuelle Hébert ont remporté le prix d'entreprise d'économie sociale de l'année, ainsi que le prix d'entrepreneuriat féminin du Concours québécois en entrepreneuriat. Si les choses vont bien, Doyle souligne toutefois qu'à chaque nouveau projet, le montage financier est à refaire.

«Montréal métropole culturelle, tout le monde en parle, mais les festivals mis à part, je trouve qu'il manque de projets publics qui peuvent toucher tout le monde, sans vendre des billets ou sans avoir de gros événements. Je suis la première à profiter des festivals, mais il y a plein de petits organismes comme nous qui offrent autre chose.»

Les trois murales des Habitations Jeanne-Mance seront officiellement inaugurées le 18 septembre.