Bien qu'il soit un excellent musicien, Vijay Iyer n'a pas le niveau des supravirtuoses du piano. On ne peu compléter un premier cycle universitaire en mathématiques, une maîtrise en physique, un doctorat en arts & technologie et, dans la même foulée, devenir un acrobate hallucinant au clavier. Qu'on ne s'y méprenne, Vijay Iyer s'avère un redoutable technicien. Il faut être supérieurement doué pour avoir atteint un tel niveau, compte tenu de sa double trajectoire jusqu'à ce que la musique ne l'emporte définitivement sur les sciences.

Le pianiste new-yorkais se démarque clairement par ses idées. Démarche très personnelle, parfois comparable à celle d'un Yaron Herman, enfin tous ces musiciens brillants qui transforment le jeu pianistiques par la force de leurs concepts.

Chez Vijay Iyer, il faut dire, les concepts foisonnent! En début de soirée, j'ai assisté à une bonne part de son concert solo à la Chapelle Historique du Bon-Pasteur. Improvisations originales et relevées, choix judicieux de relectures - Monk, Ellington. Fin mélange de tradition, de jazz moderne, jazz contemporain ou carrément free jazz. Belle introduction mais, en ce qui me concerne, c'est en trio que l'art de Vivay Iyer prend vraiment son envol. Du moins, c'est ce que j'ai constaté au Gesù, à l'occasion du premier concert de la série Jazz dans la nuit.

Ce trio de jazz est de ceux capables de transfigurer Human Nature en hommage à Michael Jackson, mort il y a exactement un an. À une telle relecture, l'ensemble ajoute des propositions qui n'ont rien à voir à priori avec quelque jazz pop attitude: assurément Dogon AD de Julius Hemphill, Smoke Stack d'Andrew Hill ou même Somewhere de Leonard Bernstein proviennent de royaumes très éloignés de celui où régnait le King of Pop. Et que dire de Cardio, Helix ou Historicity, compositions deVijay Iyer à la fine pointe du jazz de pointe.

Inutile d'ajouter que le cadre d'intervention est très ouvert harmoniquement, beaucoup plus proche du jazz contemporain dans les propositions rythmiques du phrasé, bien que toujours cohérent et fort en rythmes.  Remarquable, d'ailleurs est l'interaction entre le pianiste et sa section rythmique - le contrebassiste Stephan Crump et le batteur Marcus Gilmore, notamment sur Cardio.

Le rappel, on s'en doutait, honorerait les racines sud-asiatiques du leader: au grand plaisir de son auditoire, il a fait Galang, reprise audacieuse de M.I.A. - britannique d'origine tamoule comme on le sait. L'auditoire en a redemandé, on a conclu sur un blues déconstruit et reconstruit à la manière de Vijay Iyer.