Depuis le début des années 80, la réputation de John Zorn,  visionnaire parmi les visionnaires, a pris des proportions... zornumentales! La seule nomenclature de sa discographie et activités de concert occuperait l'espace entier alloué à l'article de cette interview accordée à La Presse en toute exclusivité.

C'est par voie de courriel que le musicien new-yorkais a préféré répondre à nos question. Généreusement, d'ailleurs. Encore faut-il rappeler que John Zorn ne cause à peu près jamais aux médias, qu'il exclut d'emblée toute opération promotionnelle. Ainsi, il estime que le pouvoir attractif de sa musique se suffit à lui-même. 

À Montréal, il a choisi de présenter des programmes très chargés, soit une dizaine de groupes répartis en deux concerts au cours d'une même soirée. Que justifie un tel choix sous la bannière marathonienne?

«Je préfère attirer de plus vastes auditoires en leur présentant un éventail substantiel de ma production musicale. Plutôt que de faire une dizaines de villes avec un seul groupe, je préfère présenter dix groupes dans une seule! Je fais les choses ainsi car les horaires de voyage sont devenus de plus en plus difficiles pour moi ces dernières années.

«Récemment, donc, j'ai présenté cinq soirées à la Cité de la Musique de Paris, six projets en trois soirs au Festival North Sea en Hollande, cinq soirées consécutives au club Yoshi's de San Francisco, dix groupes en deux soirées  à l'Abrons Art Center de New York.  En novembre prochain, je prévois présenter une douzaine de groupes à Milan. À Montréal, c'est la première fois que j'ai l'occasion de le faire pour une dizaine de groupes.»

Concert «shuffle»

John Zorn se défend bien d'y proposer une synthèse de son travail.

«Il s'agit plutôt d'un menu dégustation! J'ai choisi de présenter les projets essentiels  de la collection Masada Book of Angels - d'où le titre Masada Marathon attribué aux deux programmes L'étendue musicale y est vaste et diversifiée, mais ne représente pas l'entièreté de mon univers musical. Depuis les années 60, j'ai été à l'écoute d'une bande sonore des plus éclectiques, qui saute d'un style à un autre, d'un genre à un autre. De nos jours, l'iPod est devenu le mode d'écoute que préfèrent la majorité des amateurs de musique enregistrée. Parfait pour moi! Et pourquoi ne pas faire de même sur scène? C'est pourquoi je trouve excitante l'idée de présenter des concerts «shuffle» , qui mettent en relief  différents groupes et styles. Ainsi, j'ambitionne réunir les éléments pour des soirées encore plus éclectiques.»

Quant au concert de vendredi, nous ne disposons que de très peu d'informations au sujet de sa collaboration avec la performer Laurie Anderson et son mari, l'inclassable Lou Reed qu'on associe encore au rock.  On n'en saura guère plus du côté de John Zorn: «Il s'agit d'une improvisation totale,  qui se fonde sur notre amour et notre respect mutuels.»

La productivité phénoménale de John Zorn se compare déjà à celle des plus grands musiciens de son époque. Au fait, quel est l'avantage d'un compositeur qui ne s'arrête jamais? Est-ce un choix ou un état d'esprit?

« Pour moi, créer et jouer la musique représentent un devoir sacré. Ce n'est pas un choix, c'est la vie en soi.  C'est aussi ma manière de me retrouver en phase avec moi-même ou avec le monde extérieur. L'inspiration nous accompagne partout, nous n'avons qu'à trouver le moyen de la capter.

«Certains ont des familles, certains prennent des vacances, d'autres ont des passe-temps. Moi, je travaille. J'aime travailler et je travaille tout le temps. Je dispose des ressources pour aider mes collègues.  J'estime avoir cette responsabilité de les aider dans leur cheminement. C'est un honneur pour moi que de faire grandir la musique des créateurs qui m'ont nourri, prêter main forte à des musiciens parmi les meilleurs de notre époque.»

Le compositeur avant l'instrumentiste

Au tournant des années 80, on décrivait John Zorn comme un saxophoniste étrange et fougueux, dont le jeu très free à l'alto était tributaire des souffleurs avant-gardistes des générations précédentes, à commencer par Ornette Coleman. Au fil du temps, l'artiste s'est imposé davantage par sa composition, sa direction d'orchestre et la réalisation d'albums pour l'étiquette Tzadik dont il est le propriétaire. Rien de plus naturel, pense le principal intéressé.

«Je me suis toujours intéressé davantage à la composition et à l'enregistrement. Et je joue de moins en moins. À titre d'instrumentiste, vous savez, je n'ai planifié que trois voyages en Europe cette année, peut-être deux en 2011. Depuis l'âge de huit ans, en fait, la composition a été au centre de ma vie. Depuis toujours, il m'importe de communiquer ma vision à d'autres musiciens pour ainsi les guider, afin qu'il s'expriment d'une manière optimale devant des auditoires réceptifs.»

On comprendra que John Zorn ne prévoit pas s'arrêter de jouer, malgré ce ralentissement assumé.

«Cette vocation pour l'apprentissage d'un instrument et l'expression de son jeu devant public, voilà autant d'aspects importants de la vie d'un musicien. Pour moi, jouer le saxophone est une manière de présenter mes emplettes d'idées, les communiquer directement sans l'usage d'un discours.»

Et quelles emplettes! En plus de trois décennies d'activités professionnelles, le musicien a largement débordé le cadre du jazz contemporain, investissant tous les sons qui lui ont traversé les hémisphères: entre autres références, on a recensé musique de film, easy listening, heavy métal, musique électronique, bruitisme, exotica ou musiques sémites de tradition juive dont il est un ardent promoteur - ce qui explique les dénominations très connotées de ses projets; Book of Angels, Masada, Bar Kokhbah, Tzadik, etc. Pour des raisons qu'on ignore, il évitera de répondre aux questions relatives à son identité juive, préférant s'en tenir à son odyssée musicale.

Le voyage, assure-t-il , est loin d'être terminé: sous étiquette Tzadik,  Zorn aura réalisé une autre douzaine d'albums en 2010, sans compter  de nouveaux projets du Masada Book of Angels,  prévus en 2011 dont ceux de Cyro Baptista, David Krakauer ou même Pat Metheny. Quant à son propre travail de compositeur, deux chantiers le mobilisent actuellement: Interzone s'inspire du travail de William Burroughs et Brion Gysin, À Rebours est un un concerto pour violoncelle et sept instruments.

«Tant de grande musique, fait-il valoir en concluant, a été créée sous Tzadik.

Je n'ai d'autre choix que de continuer.»

Le Masada Marathon de John Zorn est présenté jeudi, 18h et 21h30, au Théâtre Maisonneuve. Avec Laurie Anderson et Lou Reed, Zorn se produit vendredi, 19h30, Salle Wilfrid-Pelletier.