Ce qui frappe à l'écoute de ce Fly Trio sans instrument harmonique? L'équilibre des individualités à travers un réel travail collectif. L'imbrication parfaite de chacune des parties. Le travail harmonique à deux voix. L'élégance des lignes qui s'enlacent, tant dans l'improvisation que dans la structure. L'unité et la cohérence du discours. Cette réelle intensité sous-tendue au calme apparent de l'expression.

Tout est question de subtilité avec ce Fly Trio. Contemplation, écoute attentive des éléments en haute altitude.

D'entrée de jeu, un swing léger pour une envolée rapide et sûre. Sans crier gare, le rythme se raffermit, pendant que la contrebasse assure dans la sobriété et la perfection et que le saxophone ténor explore des avenues résolument contemporaines.

On se dit que Mark Turner joue avec plus d'urgence qu'autrefois. Longtemps, j'ai trouvé savante et très rigoureuse l'approche de ce saxophoniste (ténor et soprano), considéré parmi les élus de sa génération -la mi-quarantaine. Depuis les années 90, j'apprécie sa recherche de sonorité: un son presque plat au début des phrases et soudain... on découvre la vigueur et la puissance de l'homme à travers la subtilité de son discours mélodique.

De toute évidence, Mark Turner est un homme réfléchi, posé, circonspect, mais... il l'était peut-être un peu trop jusqu'à ce jour de novembre 2008 alors qu'il a failli perdre des doigts -à la suite d'un accident avec une scie électrique. Sa carrière aurait été kaput, vous vous en doutez bien. Aujourd'hui, il a beau déplorer être légèrement handicapé par une perte de sensibilité à deux doigts, il me semble au contraire n'avoir jamais si bien joué. Sorti grandi de cette épreuve? Impossible de l'affirmer, mais...

Avec une section rythmique aussi brillante, il faut dire, le talent de Mark Turner ne peut être mieux mis en valeur. Larry Grenadier et Jeff Ballard ayant amorcé leur relation musicale à l'adolescence, inutile d'ajouter qu'ils forment une paire de choix. La maîtrise, le son, la complexité, l'attitude, ce côté relax, cette souplesse, cette concentration exemplaire. Grenadier incarne la rigueur, la sobriété, la précision, les notions supérieures d'harmonie et de mélodie, le son, mais aussi le groove. Jeff Ballard, c'est à la fois la puissance de l'impulsion, la frappe de la caisse claire, le superbe jeu de cymbales, la connaissance polyrythmique. Brad Mehldau ne les a pas recrutés au hasard !

Au programme de cette superbe séquence, Festival Tune, The Year of the Snake, CJ, Lady B, Kingston, une évocation de Cole Porter, on en passe. Des pièces vraiment composées par chacun, créées pour trois et jouées à trois.

En ce début de mardi soir au Gesù, il fut exclusivement question de beauté.