Engagé depuis nombre d'années déjà dans la promotion de la musique d'André Mathieu, le pianiste Alain Lefèvre a fait savoir récemment qu'il réduisait son apostolat, invoquant des raisons professionnelles et personnelles.

Le spectacle qui s'offrait à lui hier soir à l'Amphithéâtre du Festival de Lanaudière avait de quoi le faire revenir sur sa décision: 5 000 personnes qui se sont levées comme une seule et l'ont chaleureusement ovationné lorsque le directeur général du Festival a lancé dans le même souffle ces deux noms désormais inséparables.

Cet auditoire considérable n'était certainement pas venu pour entendre le Concert de Chausson. Il avait été attiré par ces deux noms: Alain Lefèvre et André Mathieu. Il s'agissait d'un programme annoncé depuis longtemps et faisant partie des engagements que Lefèvre tient à honorer.

La musique de Mathieu occupait toute la première moitié du programme. On entendit tout d'abord le pianiste et son frère David, violoniste, dans la Ballade-Fantaisie d'un très jeune Mathieu de 13 ans. Ils avaient joué cette très courte pièce de cinq minutes au Festival en 2008, plus précisément à Berthierville, et décidèrent de l'ajouter au programme d'hier soir.

Un grand écran dominant la scène (rien à voir avec les écrans lumineux qu'on installera l'an prochain) grossissait les moindres gestes des musiciens, y compris les grimaces certainement involontaires, et, en même temps, conférait une dimension additionnelle à la musique.

Deux oeuvres plus substantielles, pour piano et cordes, suivaient: le Trio et le Quintette. Le programme parlait de «création» dans les deux cas. Or, le récent ouvrage extrêmement fouillé de Georges Nicholson sur André Mathieu donne les dates de composition et de création des deux oeuvres: 1949 et 1950 pour le Trio, 1953 et 1956 pour le Quintette.

Mathieu était alors dans la jeune vingtaine. Il est possible que son père Rodolphe, lui-même compositeur, lui ait tenu la main à l'occasion. On le chuchotait à l'époque. Curieux, on ne se demande jamais si Leopold Mozart, lui aussi compositeur, n'en fit pas autant! Quoi qu'il en soit, les deux oeuvres, qui totalisent chacune 16 minutes, s'écoutent fort bien.

Tous les instruments y sont continuellement et généreusement sollicités. Le Trio est constitué de deux Andante pourtant contrastants, l'un rêveur, l'autre dansant, avec des mélodies simples et belles faisant parfois écho à Debussy et Ravel. Le Quintette est aussi en deux mouvements, à la différence que le contraste s'établit à l'intérieur de chacun : on passe du dramatique au presque naïf et de là à une sorte de charme viennois. On réévaluera tout cela lorsque paraîtra le disque que les interprètes d'hier soir enregistrent aujourd'hui même.

Le Concert de Chausson monopolisait l'après-entracte: 85 pages et 43 minutes de musique au cours desquelles le pianiste joue presque sans répit. Lefèvre et ses coéquipiers, dont son frère debout au milieu de la scène, traversèrent les quatre mouvements avec une totale communion de jeu et d'expression, le grand écran nous les révélant transfigurés par la musique qui naissait sous leurs doigts.

Après les longueurs et le verbiage des deux premiers mouvements, on est saisi par la densité du troisième, marqué «Grave», au caractère presque funèbre parfaitement rendu hier soir. À l'opposé, le finale, «Très animé», déboucha sur une conclusion absolument déchaînée. Il faisait visiblement très chaud sur la scène et l'on comprend les musiciens de n'avoir pas ajouté de rappel, bien que les applaudissements l'eussent justifié.

ALAIN LEFÈVRE, pianiste, DAVID LEFÈVRE, violoniste, et QUATUOR À CORDES ALCAN. Hier soir, Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette. Dans le cadre du 33e Festival de Lanaudière. (Radiodiffusion : Radio-Canada, 21 juillet, 20 h.)

Programme:

Ballade-Fantaisie pour violon et piano, op. 27 (1942) - Mathieu

Trio pour piano, violon et violoncelle (1949) - Mathieu

Quintette pour piano et quatuor à cordes (1953) - Mathieu

Concert en ré majeur pour violon, piano et quatuor à cordes, op. 21 (1889-91) - Chausson