Gaëtan Roussel, c'est Ginger, que d'aucuns considèrent comme le meilleur album français paru depuis le début de 2010. Rappelons que Gaëtan, ce fut Louise Attaque et Tarmac, deux groupes qu'il dit « en sommeil ». C'est aussi la collaboration majeure à Bleu Pétrole, ultime album d'Alain Bashung dont il a signé plusieurs textes et musiques. C'est également Il y a, chanson récente créée par l'artiste français pour Vanessa Paradis. Et c'est la réalisation de Bonjour, un album qui marque la relance de Rachid Taha.

Depuis les années 80, le chanteur d'origine algérienne est l'un des plus visionnaires de la mouvance maghrébine de notre ère. Parmi les artistes les plus importants de leur génération à évoluer dans l'hexagone, Gaëtan et Rachid se sont prêtés à un appel conférence orchestré par La Presse, et dont l'objet est l'aventure de la collaboration... Et, bien sûr, le passage aux FancoFolies de Montréal.

En ce matin de mai, on attend que Rachid Taha se manifeste sur cet appel-conférence à trois têtes, on en profite pour causer Tarmac et Louis Attaque, des groupes ayant marqué la francophonie depuis les années 90.

Gaëtan : Ces groupes sont «en sommeil». Chacun d'entre nous compose et continue à avancer dans d'autres directions, explorer d'autres endroits. Mais nous restons en contact. Nous avons quand même cette chance de pouvoir le faire.

La Presse : On nous apprend que Rachid vient de se joindre à nous.

Gaëtan : Bonjour Rachid ! C'est Gaëtan au bout du fil.

Rachid : Bonjour Gaëtan!

Gaëtan : T'es où? T'es à Paris?

Rachid: Oui, je suis à Paris. Toi t'es où?

Gaëtan : À Montpellier.

Rachid: Il faut bien qu'on nous appelle du Canada pour qu'on se parle!

Gaëtan : Carrément!

La Presse : Messieurs, l'idée est d'explorer cette idée de travailler avec l'autre. Vous avez des identités propres, des carrières individuelles, vous êtes tous deux auteurs, compositeurs, interprètes. Pour l'album Bonjour de Rachid, qu'a motivé cette collaboration?

Gaëtan : Commence Rachid!

Rachid : Salopard! (rires) Ce qui me pousse à travailler avec l'autre? C'est complètement égoïste, c'est l'envie de m'enrichir, de profiter de la richesse de l'autre. Je reste en contact avec l'Anglais Steve Hillage (qui a produit la plupart de mes albums précédents), il est toujours là. Mais avec Gaëtan, je voulais avoir la vision de quelqu'un d'autre qui n'est pas dans mon univers. J'ai toujours travaillé avec des anglo-saxons, alors que cette fois je voulais à la fois Français et aussi dans l'univers rock anglais. C'était donc ça l'envie.

Gaëtan : Mon job, c'était aider Rachid à faire son disque. C'est aussi ce que j'ai vécu à travers d'autres gens pour faire mon propre disque. Ce que ça modifie, c'est qu'on s'enrichit au contact des autres. Une idée qu'on a dans son coin est modifiée par la personne avec qui on a envie de travailler. Après, à soi de voir où ça nous mène et ce qu'on y apprend. Ce qu'on a envie de garder comme cap. Se réapproprier les idées. Ça nous décale, donc. Ma curiosité était de connaître Rachid. Je connaissais sa musique, sa manière de toujours aller à la rencontre des gens, de provoquer ça. Voilà, je me suis dit que j'allais m'enrichir et que je lui donnerais ce que j'avais avec moi et que lui allait me donner ce qu'il était. Donc voilà, on repart avec encore plus de choses dans les bagages.

Rachid : Je suis allé chercher Gaëtan car il me donnait l'envie de continuer ce métier en me poussant à chercher de nouvelles sonorités. Il m'a suggéré d'autres manières de voir les choses. Il m'a appris à manger quelques fruits et légumes que je ne connaissais pas.

Gaëtan : Ce qui est intéressant, c'est que Rachid m'a laissé aller ailleurs où il était déjà allé. Il gardait quand même le cap. Dans ces cas-là, c'est quand même à l'artiste de dont c'est e disque de garder l'endroit où il a envie d'aller. Mais il y a différents moyen d'y aller en acceptant les variations, les virages.

Rachid : L'important, c'est de travailler avec quelqu'un sans qu'il vous trahisse. Qu'il vous apporte une richesse sans la ramener à lui-même. Qu'il vous laisse tel que vous êtes mais en vous enrichissant. C'est pour quoi Gaëtan, c'était un plus. À mes chansons nouvelles, il a donné une valeur que je n'aurais pu donner.

Gaëtan : Il y a une couleur un peu plus folk dans ce nouvel album de mon ami. Je ne veux surtout pas dire de bêtises, Rachid, mais t'as un disque avec des petits clins d'oeil, des regards vers Johnny Cash ou des gens comme ça. Bien sûr, le but n'était pas de faire «à la manière de», mais de se permettre ça. Du coup, on se faisait une rythmique croisée comme ceci ou une guitare folk comme cela. Même si c'est toujours un peu réducteur de mettre des étiquettes, j'ai l'impression que l'expression folk au sens large, ça a peut-être donné sens par rapport à ce qu'on s'était dit au début de notre travail.

Rachid : C'est vrai. Vous savez, lorsqu'on travaille avec les Anglais et leurs références, c'est bon mais on peut parfois en avoir marre, quoi. Là, on a enlevé le gras sur ma musique.

Gaëtan : La force de Rachid, c'est qu'il n'a jamais eu peur de construire des ponts. Aller voir ce qui se passe chez le voisin, c'est vachement intéressant et d'autant plus important. Au sortir de la participation au disque de Rachid alors que j'ai croisé des choses de l'acoustique et de la pop, j'ai essayé à mon tour d'aller voir des gens qui n'avaient pas forcément cette culture-là pour rendre mon propre travail plus pop ou plus électro - s'il faut mettre des étiquettes. Tim Goldsworthy, Renee Scroggins ou Gordon Gano... Tout se mêle et c'est ça qui est intéressant. Ce que j'ai en commun avec Rachid, en fait, c'est d'aller de l'avant. Il n'y a pas de raison de rester à un seul endroit. La discothèque de Rachid est vaste, j'essaie aussi d'avoir une grande discothèque.

La Presse : Avec feu Alain Bashung, vous vous êtes surpassé au point qu'on puisse considérer que vous avez mieux écrit pour le regretté chanteur que pour lui-même. Qu'en pensez-vous?

Gaëtan : Je ne sais pas... En tout cas, si les gens ont l'impression que je progresse à l'écoute de quelque chose à laquelle j'ai participé, je suis content. Après, je dis que c'était beaucoup que de travailler avec Alain Bashung. C'était la première fois que j'écrivais pour quelqu'un d'autre et que je coréalisais. J'ai appris beaucoup et j'espère y avoir apporté le meilleur que j'ai pu. C'était la première fois que je collaborais ainsi avec d'autres. Avec Bashung, Rachid et Vanessa, vous savez, ça fait beaucoup de premières fois ! Après quoi, avoir eu l'envie de faire un disque solo, lâché seul dans la nature, c'est parce que j'ai travaillé avec Alain Bashung. Pour moi, ça a été un sas de décompression avant d'arriver à quelque chose en solo. Ça m'a ouvert des portes, ça m'a libéré en quelque sorte.

La Presse : Rachid, c'est votre tour : quelle est votre perception de Gaëtan?

Rachid : Je ne le connaissais pas beaucoup. Ce fut d'abord une rencontre amicale et humaine. D'ailleurs, je n'avais pas envie d'écouter ce qu'il avait fait avec Alain Bashung. Je voulais être unique avec lui. Je ne voulais pas avoir d'idées préconçues. C'était l'idée de vouloir travailler avec lui. Je ne cache pas avoir d'abord rencontré d'autres musiciens et réalisateurs français avant de le choisir. J'ai finalement choisi de travailler avec Gaëtan car il est un réalisateur qui me ressemble.

Gaëtan : J'ai tout de même peu d'expérience de réalisation ou de coréalisation. Deux albums et une chanson avec Vanessa Paradis, c'est tout. Avec Vanessa, d'ailleurs, ça s'est très bien passé. Je ne la connaissais pas, mais nous partageons la même maison de disques (tout comme Rachid, d'ailleurs) et on m'a dit qu'elle cherchait une chanson. Ça m'a intéressé parce que j'aime beaucoup sa voix. Je lui ai proposé une chanson sans vraiment savoir ce qu'elle cherchait. Et ça lui a plu. Et, comme avec Rachid ou Bashung, j'ai appris à être en studio avec la personne au-delà de la chanson qu'on lui a écrite. Ce fut un moment très intéressant.

La Presse : Et vous, Rachid, le feriez-vous pour d'autres à votre tour?

Rachid : Pour l'instant, non. Là, je suis en train de bosser sur des musiques de films, là j'ai des chansons, je suis en train de produire quelques trucs, mais je le fais pour moi. Je n'ai peut-être pas le courage ni la certitude de le faire pour d'autres. J'ai beaucoup de doutes... En tout cas, il faut que ce geste soit naturel.

La Presse : Vous venez tous deux aux FrancoFolies de Montréal pour donner chacun votre spectacle. Comment se fait la transposition sur scène?

Gaëtan : Sur scène, c'est batterie, percussions, basse, guitares, claviers, choeurs et guitare-voix.

Nous sommes huit en tout et les choristes reprennent les parties vocales de Renee Scroggins (qui chante aussi dans l'album). Gordon Gano (de Violent Femmes et qui a participé à mon album) sera avec nous au Québec. Ainsi, nous avons trouvé des manières de faire exister les morceaux sur scène, tout en conservant quelques éléments de l'album. Les choeurs, par exemple. Mais je n'avais pas envie de me relancer dans une réinterprétation totale de l'ensemble. C'est assez différent mais on s'appuie sur des choses qui restent de l'album et qui me tenaient à coeur.

Rachid :J'ai une nouvelle équipe, je suis plutôt parti un peu à la manière des Doors, c'est-à-dire avec un clavier. Je ne prends pas de basse, mais il y a de la guitare, de la mandole et de la batterie. C'est une équipe à la manière pop. Je voulais ça pop.

Rachid : Alors Gaëtan on se voit bientôt alors?

Gaëtan : Oui, on se voit.

 

________________________________________________________________________________________________________

Dans le cadre des FrancoFolies de Montréal, Gaëtan Roussel se produit ce soir, 19 h, au Club Soda. Rachid Taha se produit le mardi 15 juin, 21 h, au Métropolis.