Quand Emmanuelle Seigner a rejoint ses trois musiciens dans la pénombre et qu'elle s'est mise à chanter Le fantôme, j'ai craint le pire. Sa voix, qui ne sera jamais sa marque de commerce, était comme un électron libre qui se promène partout où la chanteuse ne veut pas qu'elle aille. Le genre de chose qu'on peut toujours maquiller en studio, suffisamment en tout cas pour que l'auditeur tire un véritable plaisir de son album Dingue.

À la voir empoigner son micro des deux mains, je me suis dit qu'il fallait sans doute mettre ça sur le compte d'une nervosité tout à fait légitime. Pour la première fois, elle devait faire ses preuves dans une petite salle pas remplie, devant un public qui se pâme moins aisément devant les actrices qui se mettent à la chanson avec un filet de voix pour se défendre.

Il fallait l'entendre vers la fin de ce spectacle d'une heure se répandre en remerciements sincères pour ce public québécois dont on lui avait dit la chaleur et ajouter «merci pour cette belle soirée, j'en avais vraiment besoin en ce moment dans ma vie», une référence on ne peut plus claire à la situation de son mari, le cinéaste Roman Polanski. Elle venait justement de faire référence à lui en présentant la chanson précédente, Forget Me Not, faite «avec un autre Polonais» du nom de Smolik.

Musicalement, ce concert était tiraillé entre la chanson coquine à la française, qui est partout sur l'album Dingue, et le rock costaud de son unique autre album, en anglais, fait avec le duo Ultra Orange. Elle s'est presque excusée de faire la moitié du spectacle en anglais aux FrancoFolies (prononcer à l'anglaise: folise), mais là n'était pas le principal problème.

On a entendu une spectatrice lui crier «Tu rockes, Emmanuelle!», et la chanteuse elle-même nous a avertis que même si elle était de la série Chansons intimes, elle allait nous «casser les oreilles» avec Don't Kiss Me Goodbye. L'ennui, c'est qu'Emmanuelle Seigner a l'air d'une touriste du rock quand elle chante ou dit des textes sur des musiques que ses comparses s'appliquent à rendre corrosives. Elle n'a pas du tout l'attitude, comme on dit dans le jargon du rock. Un décalage d'autant plus évident quand elle s'attaque à la mythique Femme fatale de Nico et du Velvet Underground quelques chansons après nous avoir servi sa propre Femme fatale beaucoup plus pop. C'est pourtant quand sa voix se fond dans ces pièces plus musclées que ses carences sont moins apparentes.

En français, elle emprunte à Dutronc On nous cache tout, on nous dit rien, une chanson moins exigeante pour sa voix et dont les couleurs yé-yé franco-françaises lui vont plutôt bien. On lui suggérerait presque de s'en tenir aux chansons ludiques que lui ont écrites Keren Ann et Doriand (P'tite pédale, Alone à Barcelone) si seulement elle les «jouait» un peu sur scène, comme on est en droit de s'attendre d'une actrice.

Mais, on l'a dit, la soirée s'est bien terminée avec l'amusante chanson Dingue et le public s'est levé pour applaudir la sympathique chanteuse après lui avoir réclamé un rappel. Soulagée, elle a dit en nous quittant: «À la prochaine au Canada, si vous voulez bien de moi.» D'ici là, elle aura sans doute le temps de décider si elle a vraiment le goût de faire ce métier.