Voilà! 250 shows plus tard, les 22es FrancoFolies de Montréal ont pris fin samedi. entre deux déplacements parfois laborieux sur le «chantier des spectacles», nos chroniqueurs ont connu leur lot de grands moments, de surprises et de déceptions. bilans de ces francos de juin.

ALAIN DE REPENTIGNY

Les deux meilleures minutes

N'importe quelles deux minutes du concert de Jean-Louis Murat. Certains l'ont trouvé distant, voire un peu snob. J'ai a-do-ré Murat et je serais retourné le voir deux autres soirs à l'Astral si ma présence n'avait été requise ailleurs. L'Auvergnat ne cause pas beaucoup, mais personne ne pourra dire qu'il ne s'investit pas pleinement dans ses très belles chansons, inspirées et inspirantes.

Les deux pires minutes

Le début du concert d'Emmanuelle Seigner. Elle ne chantait pas juste, ce qui n'est pas à conseiller pour une chanteuse, et n'avait pas davantage de présence sur scène, ce qui est un peu inconcevable pour une actrice, non? En plus, le rock de garage ne lui convient pas, et elle n'apporte rien à la chanson coquine à la française. Elle devrait oublier la scène et se contenter de faire des disques. Si elle y tient absolument.

La révélation

Les concerts auxquels j'ai assisté mettaient surtout en vedette des artistes d'expérience. Permettez donc que «ma» révélation soit une chanteuse de 66 ans revigorée par - et en osmose avec - un groupe rock (El Motor) dont les membres n'étaient pas nés quand elle était à son apogée : Louise Forestier.

La fausse bonne idée

Un reproche qui ne s'adresse pas tant aux FrancoFolies qu'à la Ville: quand donc en aurez-vous fini des travaux en perpétuel recommencement rue Sainte-Catherine? Vendredi, il fallait vraiment avoir le goût de la fête pour s'engouffrer dans l'étroit corridor à double sens dans la zone de guerre en face du TNM!

La vraie bonne idée

Les grands concerts gratuits quotidiens sur la scène de la place des Festivals, inaugurés en même temps que ladite place l'an dernier. On a craint pour leur survie quand la subvention fédérale n'a pas été renouvelée, mais ces spectacles provoquent des rencontres intéressantes et donnent aux Francos un coeur et une âme tout en leur permettant d'élargir et de diversifier leur public.

En résumé

Les FrancoFolies de 2010 auront été bénies des dieux et de Miss Météo. On s'entend que le déménagement des Francos en juin a permis de voir des artistes français qui se faisaient rares comme Murat, Higelin et Miossec. Mais ce moment de l'année convient-il vraiment au public? La plupart des salles que j'ai fréquentées (l'Astral, le Métropolis, la Cinquième salle) n'étaient pas bondées - ceci est un euphémisme. Vendredi dernier, par contre, il y avait affluence comme aux plus beaux jours du Festival de jazz. Alors, en juin ou en août, les Francos? La question mérite (encore) d'être posée.

 

ALAIN BRUNET

Les deux meilleures minutes

Lorsque Gaëtan Roussel, vers le premier tiers de sa performance d'inspiration dance-punk (qu'il adapte subtilement à sa pop française de haute tenue), a atteint sa vitesse de croisière. Wow! Décidément, cette machine est exemplaire pour l'équilibre entre énergie et substance. Voilà qui me semble supérieur à Louise Attaque, dont Roussel est le leader. Voilà l'album français de l'heure, voilà l'artiste français de l'heure, sur scène comme en studio.

Les deux pires minutes

Lorsque Rachid Taha s'est perdu en conjectures pour finalement estimer lui-même qu'il déconnait. Du haut de cette loge où j'étais enfermé avec mon ordi, j'ai eu l'impression d'un Rachid plutôt en forme, même si j'entendais très mal ce qu'il baratinait entre les chansons. Réflexion (re)faite, ce fut un show bon de loin, mais, à la lueur de commentaires de spectateurs sur le parquet, un Rachid loin d'être bon. Il a déjà été plus bourré, remarquez. Et il n'a jamais vraiment eu de voix, mais... «Sex, drugs & rock'n'roll attitude», c'est un peu suranné. Même pour l'inventeur du rock arabe.

La révélation

Arnaud Fleurent-Didier. Sa performance sur scène s'avère un peu mince, on en convient, mais la qualité supérieure de ses textes a été révélée à ces FrancoFolies. La grande plume, la compréhension profonde de la société française, l'autodérision, l'humour fin. Voilà un parolier de premier plan, sur lequel il faudra prendre exemple... Et dont il faudra découvrir les quatre albums, y compris La reproduction, son plus récent.

La fausse bonne idée

Penser que Miossec et Vincent Vallières pouvaient faire bon ménage dans un même programme, samedi dernier au Métropolis. Ces artistes n'ont strictement rien en commun, idem pour leurs auditoires. Rien! Miossec est le brillant prospecteur du côté sombre de l'existence, Vallières est le chroniqueur des unions réussies, des familles qui triomphent de l'adversité, des vies qui sont menées à bon port. Miossec se porte mal en formule rock (pas compris un traître mot de sa fine poésie), Vallières est un vrai créateur de chanson rock.

La vraie bonne idée

Nous avoir ramené onc' Pluplu pour deux soirs de rumba. Une fois de plus, on a convenu que Michel Latraverse est un des rares, très rares artistes québécois à faire l'unanimité dans ce Québec beaucoup moins consensuel qu'on aimerait le croire. Le vieux loup se montre rarement la barbe dans les grands festivals; il a rempli deux Métropolis d'affilée pour ainsi élever les coudes et les consciences. La rafale de classiques servie dans les 45 dernières minutes est une expérience que doit vivre tout Québécois qui se respecte.

En résumé

Pour les journalistes assignés à la couverture de tous les festivals, les FrancoFolies ont débarqué en juin comme un chien dans un jeu de quilles. Critiquer, interviewer, bloguer pendant qu'on prépare la couverture de l'immense Festival de jazz et qu'on jette une oreille aux Suoni Per Il Popolo: pas facile, mais bon, on y arrive. Pour le public? Le «chantier des festivals» et le changement d'horaire ont fait en sorte que les Francos de juin ont démarré lentement. Sûrement?

Quant aux concerts, voici mes cinq préférés. D'abord Gaëtan Roussel, au sommet de son art. En deuxième, la performance en version sale de Jean-Louis Murat, enfin à la hauteur de ses albums. En troisième lieu, le retour en force de Salif Keita et sa formation très roots, d'une puissance incroyable. En quatrième, le retour de Mara Tremblay et ses guitaristes préférés. En cinquième, le retour au jazz de Diane Tell, superbes textes de Vian à l'appui. On passe à un autre sujet?

 

MARIE-CHRISTINE BLAIS

Les deux meilleures minutes

Pendant l'événement extérieur Perreau et ses amies les étoiles, quand Yann Perreau et Loco Locass ont chanté ensemble Le bruit des bottes (de Perreau), puis Le but (de Loco), devant une place des Festivals remplie, qui lévitait tellement c'était bon.

Les deux pires minutes

Disons plutôt les 20 pires minutes : c'est le temps que ça m'a pris, le premier samedi, pour aller de l'entrée de la Place des Arts au... boulevard Saint-Laurent! La foule du Grand Prix mêlée à celle des Francos et à celle des feux d'artifice, tout le monde essayant de se déplacer en même temps dans des couloirs de circulation d'un mètre de largeur dans la rue Sainte-Catherine en construction, c'était assez pour devenir ochlophobe...

La révélation

Mohammed dans la tente Slam; sur la scène Monde urbain, le 7e anniversaire de l'étiquette 7e Ciel, qui réunit Samian, Koriass, Anodajay et leurs invités (avec tout le monde qui fait une version rap de La bit à Tibi). Sans oublier Samian pendant le spectacle de Yann Perreau, impérial devant des milliers de personnes qui le découvrent. Et, sur la scène multiculturelle, Bassekou Kouyate, du Mali, et le groupe français Lo'Jo.

La fausse bonne idée

On l'a déjà dit: tenir les Francos pendant la fin de l'année scolaire, ce n'est pas une très bonne idée. Et Les Chiens, avec leur rock sombre et torturé, tout de suite après la tornade bon enfant qu'a été La Compagnie Créole, ce n'était pas non plus une bonne idée.

La vraie bonne idée

La place des Festivals pour son acoustique incroyable, pour les performances bien filmées sur les deux grands écrans, pour ses éclairages top, etc. La programmation de cette année était moins emballante que celle de l'an dernier, mais une chance que cette scène existe: mercredi, ça aurait été le désert sur le site sans le spectacle de Coeur de pirate, souriante et à l'aise en plus. Super idée aussi, le grand spectacle extérieur de Yann Perreau et ses amis. Et La Compagnie Créole, c'est vrai que c'est bon pour le moral.

En résumé

Une mouture dont je vais me souvenir grâce à quelques shows extraordinaires: Radio Radio au Cabaret Juste pour rire, c'était le bonheur; Plume Latraverse au Métropolis, c'était géant; Yann Perreau et ses invités en plein air, c'était grand; Adamus qui met le feu à l'Astral, c'était hallucinant; Vincent Vallières, c'était puissant. J'ai beaucoup aimé Murat, bien aimé Nataf, apprécié Arnaud Fleurent-Didier, dansé sur miCkey[3D]. Mais tout de même, ça me frappe en me relisant: ce sont surtout les shows des Québécois qui m'auront ravie, parmi les pépines et les trous.

 

PHILIPPE RENAUD

Les deux meilleures minutes

«Vous devez être aussi surpris que nous autres de nous voir ici», a blagué Denis «Snake» Bélanger de Voivod, en début de deuxième partie du spectacle-concept de Malajube, après avoir repris Filles à plumes. Deux meilleures minutes? C'est plutôt tout ce concert audacieux qui nous a jetés par terre.

Les deux pires minutes

Pendant la version de Barbie Girl, catastrophe pop signée Aqua, reprise façon Stax par Ben l'Oncle Soul. On l'aime bien, au final, ce Ben, l'une des révélations de ces Francos. Mais une version R&B d'une mauvaise chanson n'en fait malheureusement pas une meilleure.

La révélation

À part Ben l'Oncle Soul, qui a tellement conquis les festivaliers qu'il est déjà invité au Festival de jazz 2011? JP Nataf. Une tronche d'enfer, des compositions attachantes, un son de chanson rock parfaitement équilibré, une attitude de poète maudit qui ne se prend pas trop au sérieux.

La fausse bonne idée

Ex-aequo Salomé Leclerc programmée avant Gaëtan Roussel et Les Chiens après La Compagnie Créole. La première, avec ses chansons confidentielles, ne pouvait pas chauffer la salle pour l'explosion rock dansante du second. Les Chiens étaient trop calmes pour rassasier les festivaliers emportés par le carnaval pop-créole; leur classique La nuit dérobée méritait mieux.

La vraie bonne idée

Boucher le trou du défunt Spectrum, dont on regrette toujours la démolition. Remarquez, nous n'avons pas assez fréquenté la tente Slam, sa terrasse et son «espace pro» pendant les Francos, mais la seule vue du cratère, en sortant de l'Astral ou de la salle de presse, nous levait le coeur.

En résumé

Le test «contre mauvaise fortune, bon coeur». Oui, le «chantier des spectacles» est irritant pour les festivaliers, mais ils avaient aussi l'occasion de prendre possession du parterre tout neuf, lequel enrichira assurément l'environnement des grands événements. Et malgré les coupes budgétaires, la programmation extérieure n'a pas trop paru amputée, offrant sa part de beaux et de moins beaux moments. À l'heure des bilans, on préfère rappeler les beaux, en salle comme à la belle étoile: le retour attendu d'un Higelin en grande forme, la «carte blanche» audacieuse et risquée de Malajube, l'émancipation rock de Jeanne Cherhal, la dynamique leçon de rap engagé de Didier Awadi, Plume Latraverse et ses chansons à boire (et Dieu! qu'on a bu au Métropolis...), Bernard Adamus confirmant sa notoriété nouvellement acquise avec deux soirs torrides à l'Astral, Mara qui rentre au bercail... Ça en fait pas mal, non? Au tour du jazz, maintenant!