Le nom de Luz Casal n'est pas en lui-même auréolé de gloire dans notre coin du monde. Ici, on la reconnaît surtout comme la voix forte et digne qui chante Pensa En Mi et Une Año de Amor dans Talons aiguilles, film de Pedro Almodovar datant de 1991. Deux décennies plus tard, la vedette espagnole est la première à en reconnaître l'importance dans son parcours musical. La preuve, c'est qu'elle interprète encore régulièrement ces deux chansons.

«Surtout Piensa en mi, que je joue presque à tous les concerts», assure-t-elle, lors d'un entretien téléphonique depuis New York. Luz Casal, qui est depuis longtemps une icône en Espagne et en Amérique latine, se trouve dans la mégapole américaine pour affaires. Elle n'a plus qu'un saut de puce à faire pour fouler une scène montréalaise pour la première fois avec les chansons de son plus récent disque, sur lequel elle revisite avec beaucoup d'élégance une douzaine de boléros.

«La pasión est un projet parallèle», précise d'emblée Luz Casal. Elle parle de ses choix esthétiques comme de décisions «spontanées» qui lui permettent d'exprimer ce qui se passe dans sa vie. «Je suis une femme de mon temps, j'écoute de tout, dit-elle. La musique, c'est une manière de vivre, une manière de ressentir et d'appréhender la vie. Je chante et je compose les choses qui me touchent, qui me sont nécessaires d'exprimer et de partager.»

Il y a quatre ans, après avoir combattu un premier cancer du sein, l'Espagnole a d'ailleurs publié un disque au titre sans équivoque, Vida tóxica (Vie toxique). Puis, elle s'est engagée dans ce projet qu'elle nourrissait depuis le tournant des années 90: enregistrer un album complet de boléros, forme musicale associée à Cuba, mais qui s'est propagée dans toute l'Amérique latine depuis les années 30.

«Souvent, quand on retravaille des chansons classiques, on les prend et on les tire vers notre propre univers, mais mes collaborateurs et moi avons eu envie de faire les choses dans le sens inverse: faire le voyage vers les années 40 et 50», dit-elle. Ainsi, secondée par le réalisateur Renaud Letang (Manu Chao, Susheela Raman, Katerine, etc.) et l'arrangeur Eumir Deodato (Astrud Gilberto, Jobim, Aretha Franklin), elle a enregistré les chansons en direct en studio, avec tout l'orchestre, en utilisant des micros de l'époque. Des séances «à l'ancienne», quoi.

De la force dans la douleur

Sélectionner des titres dans ce gigantesque répertoire de chansons sentimentales fut d'ailleurs un travail «d'archéologue», de l'aveu même de la chanteuse.»J'ai travaillé sans pression, indique-t-elle toutefois. J'ai laissé le temps agir comme un filtre. Je me suis dit que les chansons qui me restaient dans la tête étaient celles que je devais chanter.» Elle a choisi deux airs très connus: Historia de un amor et Alma Mia. Mais La pasión compte plus que son lot de perles, adaptées de morceaux célèbres ou non, comme l'émouvante A dónde va nuestro amor ou Mar y cielo, que la chanteuse interprète avec une grande force intérieure.

«J'aime donner l'impression d'être une femme sûre d'elle, explique la chanteuse. Une femme qui exprime la douleur et le pathos, mais pas beaucoup, car je n'aime pas ça. Je peux chanter une phrase qui porte toute la douleur du monde, mais je le fais en ayant dans mes mains le pouvoir de changer les choses.» Luz Casal confirme qu'il est d'autant plus important pour elle d'agir de la sorte depuis qu'elle a dû livrer deux batailles contre le cancer. Une rechute, en 2010, l'a en effet forcée à quitter la scène avant d'y revenir, le 4 février dernier à Madrid, lors d'un concert sciemment programmé lors de la Journée mondiale contre le cancer.

«Ça fait partie de ma vie, dit-elle aujourd'hui, à propos de ces épisodes de maladie. Il y a des choses qui restent de cette expérience, mais ce n'est pas conscient.» Son album hommage au boléro est pour elle une façon de regarder en arrière et d'y trouver le réconfort avant de se tourner vers l'avenir.