Hier, la place des Festivals s'est transformée en oratoire, où les nombreux fidèles de Gerry Boulet et d'Offenbach ont célébré une grand-messe rock à la québécoise, avec des «toé», des «ayoye» et des «câline». Les officiants avaient pour noms Éric Lapointe, Martin Deschamps, Jonas, Nanette Workman, Mario Saint-Amand et Sarah Bourdon. Et on suppose que, de Mars où il se promène depuis 21 ans, Gerry lui-même se faisait aller les cheveux en les écoutant chanter avec cette voix qu'ils ont, qu'ils doivent à la voix qu'il avait, lui.

Âgée de 20 ans multipliés par un, deux ou trois, l'immense foule a mis un peu de temps (les cinq ou six premières chansons) à vraiment embarquer: c'est grand en ta, la place des Festivals, pas évident de voir, de ressentir, de communier avec la scène lointaine.

Mais quand Jonas a entonné Ayoye, sans tenter de faire un pastiche ou une parodie, juste avec l'âme qu'il faut quand on chante ce texte hallucinant, ça y était. Et quand Mario Saint-Amand, qui interprète Gerry dans le film du même nom - en salle vendredi et dont on a vu quelques extraits sur grand écran -, est entré sur scène pour faire Un beau grand bateau ou, plus tard, Toujours vivant, même constat: ce n'est pas de chanter avec la voix de Gerry qui compte, c'est de chanter avec son âme, sa vulnérabilité, sa ferveur. Tout le monde s'est donc mis à chanter avec Mario.

Mais le vrai rockeur, celui qui a soulevé le public, c'est une rockeuse, c'est Miss Workman, Dame Nanette en personne, le blues blond incarné (et francophone) quand elle s'est mise à chanter Câline de blues. Oh boy! Là, ça dansait sur le vaste parterre, là, ça bougeait de la tête, ça se faisait aller la luette. Quant à Éric Lapointe, il a été particulièrement juste et senti quand il a chanté, seul avec sa guitare, Faut que j'me pousse. Bobby Bazini a fait une jolie version de Georgia on My Mind, un peu polie quand on la compare avec celle qu'en faisait notre rockeur.

Martin Deschamps, toujours généreux et conscient des spectateurs, a été le seul à vraiment s'adresser constamment au public, et c'est pour cela qu'il a été écouté avec respect quand il a chanté la seule chanson «non Offenbach» du spectacle: Dans ta voix, qu'il a écrite et composée en hommage à Gerry. C'était senti et c'était bien.

La plus courageuse a été Sarah Bourdon, jeune chanteuse qui a repris Tu n'étais qu'une aventure avec simplicité et sa belle voix. Une fois de plus, tout le monde a entonné le refrain avec enthousiasme.

Dans notre ADN

Il n'en demeure pas moins que le spectacle d'hier n'avait pas le caractère extraordinaire et jubilatoire de la réunion d'Offenbach et du Vic Vogel Band aux Francos en 2004. Et on sentait bien hier que plusieurs spectateurs ne connaissent pas tant que ça le répertoire d'Offenbach. Dieu merci, celui de Gerry Boulet solo est toujours vivant, sans mauvais jeu de mots: Lapointe et Nanette entonnant ensemble Les yeux du coeur ou Nanette interprétant Avant de t'en aller, c'était l'occasion pour tout le monde de chanter en se faisant aller les bras.

Mais au moins, ce grand spectacle gratuit en plein air permettait justement de mesurer l'importance de Gerry dans notre imaginaire musical, de nous révéler le nombre de ses héritiers vocaux, de constater combien les guitaristes adorent jouer ses chansons... Au même titre que Claude Léveillée, Félix Leclerc et compagnie, Gerry Boulet fait partie de notre ADN intime et le «beau grand bateau» musical d'hier en a témoigné. Il est bel et bien toujours vivant. À la fin du spectacle, ils étaient nombreux à scander son nom: Gerry, Gerry, Gerry. Marci, Gerry.