Drôle de rencontre avec le célèbre Arthur, de son vrai nom Jacques Essebag. Il s'apprêtait à s'envoler pour Montréal afin d'y donner son one-man show au festival Juste pour rire. On croyait l'interviewer sur son spectacle et sur cette bizarrerie qui fait qu'une star de la télévision adulée par des millions de téléspectateurs le samedi soir tienne mordicus à monter sur scène devant des salles de 600 spectateurs. Lui avait prévu parler du fait qu'il allait animer à Montréal le Gala français, destiné à être repris en France et diffusé à la télévision.

Qu'une célébrité de la télé française anime un gala, même à Juste pour rire, ce n'est pas franchement une première. D'autant plus que le même Arthur sera produit par la maison Rozon à partir de l'automne prochain pour ses spectacles francais.

Mais rien à faire pour décoller Arthur de son idée fixe: il allait animer pendant trois soirs un gigantesque gala retransmis à la télé québécoise.

«Je suis déjà allé trois fois à Montréal, me dit-il, j'ai déjà coanimé le gala et, une autre fois, j'ai donné mon spectacle. C'est la première fois que je fais les deux. C'est un défi formidable, parce que le showbiz québécois est à mi-chemin entre la France et les États-Unis et qu'il faut savoir tout faire: je vais danser, faire des sketchs. En ce qui concerne mon one-man show, ça me stimule d'autant plus qu'à Montréal je ne suis pas connu à la télévision et que, si les gens rient, c'est qu'ils trouvent ça drôle...»

Pour le reste, Arthur, 45 ans, célébrité télévisuelle en France depuis le milieu des années 90, n'a pas trop envie de se lancer dans les confidences ou de raconter sa vie. Pourquoi l'un des hommes les plus puissants de la télévision - qui a inventé La fureur et Les enfants de la télé et attiré régulièrement jusqu'à 10 millions de téléspectateurs - a-t-il eu l'envie soudaine, en 2006, de sillonner le pays, une centaine de soirs par année, pour donner son spectacle devant un demi-millier de spectateurs?

«J'aime bien aller là où les gens ne m'attendent pas, dit-il. Il y a des bateaux qui aiment rester tranquillement au port. Moi pas. À la télé, le programme change tout le temps. Au théâtre, on a toujours le même programme, mais le public change tous les jours. Ça me procure une vraie décharge d'adrénaline. Quant à être l'un des hommes les plus puissants de la télé, je ne sais pas où vous avez trouvé ça. Je ne fais plus qu'une grande émission par mois et j'ai vendu mes parts dans la maison de production Endemol. J'ai eu des échecs comme tout le monde.»

La trajectoire d'Arthur n'en reste pas moins le sketch le plus intéressant de l'humoriste. Né en 1966 à Casablanca dans une modeste famille juive marocaine pratiquante, il a débarqué presque bébé en banlieue parisienne au lendemain de la Guerre des Six Jours. Et c'est un banal gamin de 20 ans - lunettes de myope et 15 kilos de plus qu'aujourd'hui - qui force la porte d'une radio locale de la banlieue et impose son style provocateur et un brin égrillard.

«Pas provocateur: insolent», tient-il à préciser aujourd'hui. Moins de 10 ans plus tard, il se fait opérer pour sa myopie, suit un régime et réussit en deux temps trois mouvements son grand passage à la télé. Au tournant des années 2000, il est l'un des plus brillants «enfants de la télé», voit sa maison de production rachetée par le géant Endemol, dont il devient un actionnaire important. La revente de ses actions fera de lui un homme riche.

One-man show

Pourquoi se lance-t-il en 2006 dans cette aventure périlleuse du one-man show? «Le besoin de reconnaissance est criant», écrit à l'époque Libération, un journal qui n'a aucune indulgence pour les vedettes grand public de la télévision, mais qui ajoute: «L'ennui, c'est que son one-man show n'est pas si mal.»

Pour Libé, c'est l'équivalent de la meilleure note, ou presque. En 2007, le même Arthur interprète Le dîner de cons en duo avec Dany Boon: triomphe dans un théâtre parisien.

Le sérieux de la vie - sinon le tragique - finit par le rattraper. En 2004, un autre humoriste, le célèbre et talentueux Dieudonné - qui a versé dans l'antisémitisme obsessionnel au point de faire copain-copain avec Jean-Marie Le Pen - accuse Arthur de financer l'armée israélienne «qui n'hésite pas à tuer des enfants palestiniens».

Après avoir traîné sur l'internet, la déclaration refait surface. Début 2009, plusieurs spectacles d'Arthur en province sont perturbés par des manifestants «pro-palestiniens». Arthur écrit une longue lettre ouverte au Monde: «D'où vient cette haine des incendiaires des âmes?»

Poursuivi par Arthur, Dieudonné est condamné par les tribunaux. Après 2009, les hostilités finissent par s'épuiser d'elles-mêmes. Et d'ailleurs. Après avoir multiplié les outrances, Dieudonné a disparu du devant de la scène. Aujourd'hui, quand on lui parle de l'humoriste, Arthur passe à autre chose. «Dieudonné? Franchement, je ne le vois pas beaucoup. On doit habiter des quartiers différents.»

Arthur présente son one-man show au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts jusqu'au 23 juillet.