Ma voix est chantée, la table est dressée. Debout au centre de la scène, elle lance la mélodie avec cordes vocales harmonisées derrière, puis s'installe aux ivoires.

L'effet percussif du clavier confère une énergie contagieuse au double quartette (piano, basse, batterie, piano et quatre cordes), Saturne en a perdu ses anneaux! Elle attaque la chanson titre de son plus récent album, Désert des solitudes façon musique de chambre, mais avec tonus pop.

Une ballade calme le jeu, la chanteuse aborde le présent et l'avenir, inaugure des ponts de space opera, un Petit début d'éternité vient de se passer. Oupse, elle trébuche sur Amadeus, décide de reprendre à zéro, personne n'en fera un plat. Sur La Rua Madueira, chanson de rupture déchirante entre deux ressortissants de contrées différentes (signée Nino Ferrer), l'approche franco-latine est bardée de rock.

Et hop! Petit saut en arrière vers l'album Rose Sang: elle alterne entre le pied de micro et le piano, on se dit alors que Fais pas l'affaire, chanson sur le rejet violent d'un partenaire, participe également d'un effort soutenu de musculation sonore. La  guitare électrique de David Laflèche y est certes pour quelque chose, le piano de madame n'ont qu'à bien se tenir.

On a droit à quelques phrases un peu hirsutes sur son vieillissement, son anniversaire prochain, les 30 ans maintenant passés, sur cette dialectique bien personnelle entre stress et sérénité, sur les excès d'intensité et la nécessité de ne rien prendre à la légère tout en s'assumant. «Soyons vrais, soyons intenses, soyons en vie, soyons... Bien», méchant programme d'assomption pour piano, cordes et petit orchestre. La première partie du spectacle sera coiffée d'une longue allusion pianistique à Frédéric Chopin, ce qui aura pour effet immédiat d'épater la galerie.

La pause est terminée, elle revient seule avec son guitariste, amorce Un Blanc sur ma mémoire, ses deux autres musiciens se joignent à elle - Mathieu Désy, contrebasse, Alex MacMahon, batteur devenu pianiste en plus d'assurer la direction musicale de l'ensemble. L'intro latino-américaine qui suit sera jouée à quatre mains aux claviers, et chacun reprendra son rôle pour Tape dans ton dos.

Autre retour à l'album précédent, Toute une vie, avec attitude plus rock que sur les albums. La pianiste se tortille au-dessus de son instrument pendant que virevoltent les couplets. Très bel influx choral sur Soixante, une construction classique avec complément moderne qui a pour objet de résumer la longue marche vers la maturité de l'humain.

Après une interminable présentation de ses «princesses», c'est-à-dire les musiciens dont elle est Sa Majesté, elle fait Sahara, le quatuor à cordes (Mommies on the Run) se  joint de nouveau au quartette. Et re-pop de chambre pour une chanson solidement construite. Après un très joli Bain d'épices, le répertoire culmine avec Le piano ivre. Précédés de souhaits de bon anniversaire, les rappels toniques réjouissent les fans : Chanson sans lui, Dans l'Au-delà. Elle conclut avec Ourse, seule au piano.

Elle a un public, Catherine Major.  Un public montréalais qui lui remplit deux Club Soda en autant de soirs - jeudi (le spectacle dont il est ici question) et vendredi.  Auditoire féru de textes au-dessus de la moyenne, de mélodies soyeuses, d'harmonies tonales et classiques. Auditoire d'âge mûr en majorité.

Catherine Major est belle et douée. Interprète habitée, musicienne éduquée, qui sait écrire et qui sait recruter parmi les meilleurs paroliers d'Amérique francophone - Moran, Christian Mistral, Martine Coupal, Éric Valiquette, Jacinthe Dompierre.  Y a-t-il un problème ? Oui. Il y a un problème relativement  mineur qui deviendra majeur si Major tarde à y remédier : sa relation chansonnière à notre époque.

À quelle époque sommes-nous ?

Sauf exception, les harmonies, les mélodies, le phrasé, le classicisme XIXe siècle, la manière de dire et de chanter relèvent davantage des grandes années de la chanson française dite à texte que de la période actuelle... soit quatre décennies plus tard. Les actualisations d'Alex McMahon, excellent musicien et arrangeur d'esprit ouvert, ne peuvent suffire à la tâche.

Laissons donc ce cycle se compléter, laissons les fans en profiter, la chanteuse récolter... Après quoi, il faudra rénover.