Ignorés pendant une grosse partie de l'année, les musiciens world de Montréal ont une rare occasion de se faire voir en gros plan aux Nuits d'Afrique. Oumar Ndiaye est une vedette de la chanson au Sénégal, où il a déjà lancé six albums et remporté des prix importants. Mais depuis qu'il est venu s'installer au Québec, ses horizons se sont réduits radicalement.

« C'est sûr qu'ici, pour un musicien africain, il n'y a pas beaucoup de places pour jouer, déplore l'auteur-compositeur-interprète. On aimerait bien avoir une plus grande place. »

Ignoré des compagnies de disques et peu connu du public, le chanteur admet que sa carrière demande beaucoup de travail. Mais il est plus déterminé que jamais à vivre de son art. L'hiver dernier, il est même retourné en Afrique, pour faire la tournée des festivals ouest-africains. « Ça m'a aidé à survivre », dit-il.

Oumar Ndiaye, qui se produira le 21 juillet au festival Nuits d'Afrique, n'est qu'un parmi tant d'autres. Comme lui, des dizaines de musiciens world établis au Québec doivent galérer pour joindre les deux bouts. Faute de diffusion, et donc d'intérêt, très peu vivent de leur art. « Les petits bars, c'est leur vie, confirme Yves Bernard, animateur de L'Entremuse à CIBL et collaborateur au Devoir. À ma connaissance, il n'y a pas de musicien dans ce milieu qui ne rame pas. »

Un marché mal exploité

À Montréal, ville pourtant réputée multiculturelle, le réseau world  se résume à peu de chose. On se produit pour une bouchée de pain au Balattou, aux Bobards ou au Lambi, trois salles spécialisées dans le genre. Ou dans les maisons de la culture, qui consacrent une petite part de leur programmation aux musiques du monde.

Le circuit des festivals est de loin la vitrine idéale. Ces événements hautement subventionnés prennent des risques et paient bien. Mais avec l'été qui ne dure que deux mois, il faut saisir sa chance. Le reste de l'année, c'est le grand vide ou presque.

La vérité, c'est que la scène world québécoise manque d'infrastructures pour se développer. Hormis quelques cas isolés comme l'organisme MMM (Musique Multi Montréal) et les Productions Nuits d'Afrique, il y a très peu de spécialistes pour encadrer les musiciens et vendre le « produit ».

« Les artistes n'ont pas les moyens de se payer une équipe, observe Jérôme Pruneau, manager de la chanteuse française Marianne Aya Omac qui se produira le 24 juillet sur la scène extérieure des Nuits d'Afrique. Beaucoup font tout eux-mêmes et finissent par se perdre dans l'administration »

À moins, bien sûr, de trouver quelqu'un qui y croit. Mais la chose est plus facile à dire qu'à faire. Dans une province dominée par le rock, le blues et la chanson populaire, les musiciens world sont souvent vus comme des ovnis. Et le marché « ethnique » est encore mal connu des professionnels.

Sans parler des idées reçues... et tenaces. « Les gens de l'industrie ont souvent des préjugés : les Africains ne sont pas "travaillables". Ils n'arrivent jamais à l'heure... Ils ne vont pas le dire comme ça, mais ils le pensent », précise Yves Bernard.

Sauf que voilà : pas d'agent, pas d'équipe. Et pas d'équipe, pas de contrat de disque. « Certains labels refusent carrément de négocier directement avec les artistes lance Jérôme Pruneau. Ils veulent parler avec des gens de business... C'est le serpent qui se mord la queue. »

J'cours les concours

Les Prix ? Les concours ? Pour plusieurs, c'est encore le meilleur moyen de se faire connaître. Radio-Canada remet ses Révélations musicales. Le festival Nuits d'Afrique organise les Syli d'or. Les Prix de musique folk canadienne couronnent régulièrement des Québécois. Mais encore faut-il que les médias relaient l'information. Or, de ce côté, c'est plutôt le désert. À part la radio d'État et l'émission Belle et Bum à Télé-Québec, les vitrines payantes sont plutôt rares pour les artistes world. Quant aux journaux, cela dépend des jours...

À l'étranger, c'est une autre histoire. Car les prix peuvent aussi servir de tremplin vers l'exportation. Exemple : l'ancien Coloc Élage Diouf vient d'être invité au Womex de Copenhague (le Festival de Cannes de la world), après avoir remporté le Juno des musiques monde en mars dernier, pour son album Aksil. « Il est clair que ce trophée a été d'une grande aide, souligne son agente Suzie Hamel. Maintenant, il faut simplement trouver les bons alliés. »

De fait, rien n'est encore acquis pour le frère Diouf. Parlez-en à l'éclatant Wesli, qui se produira le 22 juillet au parc La Fontaine, dans le cadre du 5e festival Haïti en Folie. Considéré par plusieurs comme le plus grand espoir world à Montréal, cet Haïtien d'origine a remporté une tonne de prix, dont le très crédible Babel Med de Marseille en 2010.

Malgré tout la carrière mondiale se fait encore attendre.

************************************************

Artistes montréalais présentés au festival Nuits d'Afrique jusqu'au 24 juillet:

O Zé sera en concert

le 19 juillet; Oumar Ndiaye,

le 21 juillet; Max Bananaz,

le 22 juillet; Piwili, le 23 juillet.

Les gagnants du concours Syli d'Or 2011 seront présentés demain, 17 juillet.