Les festivals d'envergure qui misent sur des artistes ignorés par les radios commerciales se multiplient depuis 10 ans en Amérique du Nord. Osheaga, né il y a cinq ans et tenu aujourd'hui et demain pour la cinquième fois au parc Jean-Drapeau, s'inscrit dans cette nouvelle vague de festivals indie rock qui a remplacé les tournées itinérantes des années 90. Une formule qui semble gagnante dans une industrie en crise.

Le festival Coachella, présenté depuis 11 ans dans le désert de la Californie, a été la manifestation musicale la plus lucrative depuis le début de 2010, avec 225 000 billets vendus et des revenus de 21,7 millions. Avec Jay-Z, Gorillaz, Pavement et Muse en têtes d'affiche, le grand frère des festivals indie rock a battu des records: les 75 000 laissez-passer de trois jours offerts ont tous été vendus à 269$.

Deux autres manifestations du genre, les festivals Sasquatch et Bonnaroo, qui ont respectivement lieu dans les États de Washington et du Tennessee, se sont également soldées par des succès en cette période pourtant morose pour l'industrie du spectacle. La vente des 100 tournées les plus lucratives a en effet chuté de 17% durant la première moitié de 2010 comparativement à la même période l'an dernier, selon le site spécialisé Pollstar.

Les festivals indie rock se multiplient en Amérique du Nord depuis une décennie. Dans les deux dernières années, plus d'une dizaine de ces rendez-vous sont nés. Montréal aussi a le sien: Osheaga, organisé depuis 2006 par evenko (anciennement GEG) et présenté ce week-end au parc Jean-Drapeau. Ses invités de marque? Arcade Fire, Weezer, Metric, Devo et Pavement. Des groupes généralement ignorés par les radios commerciales.

«Nous présentons beaucoup d'artistes qui font des salles entre la Sala Rosa (NDLR: salle du boulevard Saint-Laurent d'une capacité maximale de 250 places) et le Métropolis (2300 places). Un groupe comme The National remplit le Métropolis, mais ne pourrait pas jouer devant 20 000 personnes», explique Nick Farkas, directeur concerts et événement pour evenko.

La tendance actuelle est résolument à ce que chaque ville soit l'hôtesse de son propre festival. «Avant, il n'y avait pas grand-chose à part Coachella. C'était surtout des festivals itinérants», rappelle Nick Farkas. Il cite le Vans Warped Tour, qui revient bon an, mal an depuis 15 ans, mais il aurait aussi pu mentionner Lollapalooza, mis sur pied par Perry Farrel de Jane's Addiction, qui a longtemps sillonné le continent avant de se sédentariser.

Il reste que les programmations ne tranchent pas d'un festival à l'autre. Lollapalooza aura lieu à Chicago le week-end suivant Osheaga. Arcade Fire, The National, Metric, Stars et The Black Keys sont à l'affiche des deux festivals. «Même si les programmations se ressemblent, la localisation de chaque festival est unique. Si la ville est attrayante, c'est un plus», souligne Catherine Moore, directrice du programme de l'industrie de la musique à l'Université de New York.

Marketing touristique

Si les festivals ont déjà été synonymes d'ennuis et de «partys qui dérapent» pour les villes (à l'image de Woodstock), c'est maintenant un outil de «marketing touristique». «Ça positionne la ville comme étant branchée et à l'affût des tendances», souligne Catherine Moore, qui a fait une partie de ses études à l'Université McGill.

Tenir son propre festival dans sa ville au lieu d'accueillir une tournée itinérante permet aussi aux producteurs d'y ajouter une touche locale. Ariane Moffatt et Marie-Pier Arthur se produiront par exemple à Osheaga. «Il y a des artistes qui marchent très fort à Vancouver, mais pas à Montréal, par exemple, indique également Nick Farkas d'evenko. Prenez Charlie Winston, par exemple... il est plus hot au Québec qu'ailleurs.»

«Il est vrai que certains festivals se ressemblent, mais ils se différencient également par la nature même de l'organisation, la foule présente et les différents territoires visités. L'esprit sera différent d'une ville à l'autre», ajoute Francis Letendre, coordonnateur marketing de l'étiquette de disque torontoise Last Gang Records (Metric, K-Os).

La multiplication des festivals en Amérique du Nord constituerait d'ailleurs un avantage pour leurs programmateurs. «Si un festival réussit à avoir un artiste de l'Angleterre, cela peut aider les autres à l'avoir aussi», estime Nick Farkas. La compétition est néanmoins de plus en plus féroce entre ces festivals qui se produisent tous durant le week-end. Le festival All Point West de New York n'aura d'ailleurs pas de troisième présentation cette année, faute d'avoir déniché des têtes d'affiche d'envergure.

Un lieu de découvertes

Dans un article publié en mai dernier dans Newsweek, le journaliste Seth Colter avançait que beaucoup de groupes indie rock (Broken Social Scene, The National, LCD Soundsystem, New Pornographers, par exemple) avaient lancé leur disque au printemps afin de faire mousser leur passage dans les festivals cet été. «Les groupes font souvent plus d'argent avec leurs tournées qu'avec leurs ventes d'albums», indique Catherine Moore. «Les cachets sont souvent plus importants dans les festivals que pour des spectacles de tournée», ajoute Francis Letendre.

Une vitrine comme Osheaga représente également une bonne visibilité. «C'est une très bonne occasion pour les groupes de trouver de nouveaux fans, qui ne sont pas nécessairement venus pour les voir, explique Francis Letendre. Une présence dans de tels rendez-vous en vaut totalement la chandelle.»

Si le public embrasse la formule des festivals indie rock, c'est notamment parce que le rock dit indépendant ou alternatif s'est démocratisé au fil des dernières années, dans les publicités ou les bandes sonores de séries télé comme Grey's Anatomy ou Gossip Girl. «Les gens sont intéressés par une plus grande variété de musique aujourd'hui et ils ne veulent pas nécessairement voir juste un band», a récemment indiqué au New York Times Tom Windish, l'imprésario de Justice, Major Lazer et Hot Chip.

«Les gens aiment le fait de voir beaucoup de bands, un peu à l'image d'une play-list. C'est aussi le fait d'être dehors en groupe, croit également Catherine Moore de l'Université de New York. Il y a un côté aventure quand on va dans un festival.» Nick Farkas est un programmateur comblé quand il voit les gens se promener d'une scène à l'autre, programme à la main, durant Osheaga. «C'est un lieu de découvertes, dit-il. Les gens se textent pour se dire: "Viens voir tel show, c'est débile!"»

Les bonnes têtes d'affiche

Selon Paul Tollett, le fondateur de Coachella, la recette gagnante côté programmation est un mélange d'artistes indépendants respectés et bien établis, de nouveaux artistes, de groupes trop hypés, de groupes old-school qui font un retour et de quelques DJ qui vont attirer les «raveurs». En entrevue au quotidien The Desert Sun (Palm Springs, Californie), il a également déclaré que le rappeur Jay-Z avait été la tête d'affiche idéale cette année. Un artiste «mainstream», mais «respecté», qui a l'approbation de la clique indie rock de Pitchfork, site internet spécialisé considéré comme la Bible du rock indépendant.

L'an dernier, Coldplay a attiré 30 000 personnes à la première des deux journées de la quatrième présentation du festival Osheaga, permettant à evenko de battre de loin le précédent record de 28 000 entrées pour les deux jours du festival. «Coldplay nous a beaucoup aidés», admet Nick Farkas.

«Nous avons toujours voulu avoir une programmation assez vaste. Nous avons déjà eu Ben Harper et Sonic Youth comme têtes d'affiche, explique le directeur concerts et événement pour evenko. Je me suis longtemps demandé si Snoop Dog était vraiment Osheaga. Finalement, tout le monde a capoté quand on l'a annoncé.»

Les premières présentations d'Osheaga laissaient présager un avenir incertain, mais maintenant le festival peut compter sur des assises solides. «On savait que ça allait être dur au début, mais on a toujours misé sur le long terme», raconte Nick Farkas.

Le festival a aussi bonne réputation auprès des musiciens. Sonic Youth a même demandé de revenir cette année, même si c'était pour se produire sur une scène secondaire. Nick Farkas s'en réjouit. «Aujourd'hui, on a des artistes qui nous disent: on veut revenir. Les premières années, c'était plutôt nous qui disions: venez jouer!»