Réaction psychosomatique systématique : dans les semaines précédant une rentrée montréalaise, un plantureux clou rouge jaillit sur le pif de Dominic Sillon. Mais ce n’est pas que pour des raisons cutanées que Dominic et Martin ont choisi de ne pas tenir de première médiatique pour leur nouveau spectacle.

Martin Cloutier avoue être un peu inquiet de l’entrevue qui s’amorce. L’humoriste ne voudrait surtout pas donner l’impression d’être « un vieux clown aigri ». « Est-ce qu’on se dit la vérité ? » Allons-y.

« Il n’y a aucun show qui m’énerve autant qu’une première, parce que c’est un show qui ne se peut pas, qui n’a aucun rapport avec le reste de la tournée, confie-t-il. Avant une première, on n’est jamais dans la joie. »

Un show qui ne se peut pas ? Il n’y a effectivement rien qui ressemble moins à une représentation dite normale qu’une première médiatique, dans la mesure où il est rare qu’un jeudi soir à Brossard réunisse dans une même salle des journalistes plus ou moins fatigués, des collègues heureux d’être là même si leurs bras croisés envoient le message contraire, parents, conjoints, enfants ainsi que parfois Yvon Deschamps et Judi Richards.

On a demandé à notre équipe lors de nos trois dernières tournées : “Avez-vous vraiment besoin qu’on présente une première ?” Je pense que c’est le fantasme de beaucoup d’humoristes de ne pas en faire.

Martin Cloutier

Un fantasme que réaliseront enfin Dominic et Martin avec leur sixième spectacle, tout simplement intitulé Six, qu’ils étrennent depuis déjà six mois et dont la première aurait lieu, en théorie, en octobre. « Faire des pubs à la télé, dans les journaux, inviter des journalistes, tout ça était hyper important quand on faisait notre premier spectacle, souligne Dominic. Les citations étaient reprises partout en région, c’était dans le plan de promotion. Mais en 1999, il n’y avait pas de réseaux sociaux. »

Chapeau les niaiseux

Ni chouchous ni souffre-douleur du commentariat culturel, Dominic et Martin ont généralement récolté des critiques modérément élogieuses, mais ont rarement été portés aux nues ou voués aux gémonies.

Une « belle énergie commune étant combinée à un texte où la facilité n’est pas la règle », écrivait le collègue Éric Clément en septembre 2013, une phrase résumant assez bien le ton général des articles décrivant depuis 25 ans le travail scénique des vétérans.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Dominic et Martin sur scène en juillet 2019

Rare exception : au lendemain d’un gala Juste pour rire, un scribe concluait de façon un brin péremptoire que « Dominic et Martin ne sont pas drôles », se souvient Martin en s’enflammant un bref instant. « OK mon ami, appelle mon gérant de banque, tu vas voir, il ne sera pas d’accord avec toi. Mais encore là, ce n’était pas une critique, c’était juste un commentaire gratuit. »

Mais arrive-t-il, à l’inverse, que les camarades se reconnaissent entièrement dans un texte ? « Ça s’est produit une seule fois, répond Dominic. À Gatineau. Ce que le journaliste disait de nos numéros, c’était exactement ce qui nous motivait à les faire. C’était comme une analyse. Il avait trop compris le show ! »

Il garde aussi précieusement en mémoire le titre d’une critique de leur première première, à Québec : « C’était écrit : “Chapeau, les niaiseux”. On s’était dit que ça devait être positif. »

« La seule critique qui me fatigue, c’est celle qui est elle-même un spectacle, résume Martin. J’ai parfois eu l’impression d’être le straight man de certains critiques et je n’ai pas besoin de ça. Je suis le straight man de Dominic, c’est assez. »

Faire partie des meubles

Sans doute parce qu’ils appartiennent à une tradition – le burlesque – ayant peu à voir avec les courants traversant l’humour actuel, et parce qu’ils font pour ainsi dire partie des meubles, Dominic et Martin ont eu du mal, reconnaissent-ils, à attirer un nombre substantiel de médias lors de leur dernière première, en 2017. Transparence totale : La Presse n’y avait pas assisté.

On se rend compte qu’on n’est plus des petits taureaux du printemps, qu’on n’est plus la nouveauté. La dernière fois, je pense qu’il y a quatre médias qui sont venus. Pourquoi on se rendrait nerveux pendant des semaines pour si peu d’intérêt ?

Martin Cloutier

Bien qu’une première demeure un rite de passage significatif pour certains jeunes humoristes, Dominic Sillon, qui enseigne à l’École nationale de l’humour, constate que ses étudiants ont souvent déjà leur bassin de fans, constitué grâce aux réseaux sociaux, lorsqu’ils déposent leurs fesses sur les bancs de l’établissement. La critique d’un média de référence n’est plus pour eux l’essentielle courroie de transmission qu’elle a déjà représentée.

Martin insiste : c’est avec le contexte artificiel de la première que Dominic et lui souhaitent rompre. « Un journaliste pourrait venir voir notre show n’importe quand et en faire la critique, ça fait partie de la game. Ça arrive en région. Je te le dis : “Tu peux venir quand tu veux, aucun problème, écris ce que tu penses. La seule chose, c’est que tu n’auras pas de cocktail avant.” »

Six, de Dominic et Martin, en tournée partout au Québec

Consultez le site de Dominic et Martin