Mick Jagger a pris le contrôle de Pierre-Yves Roy-Desmarais. C’est du moins ce que celui-ci nous a confié dans une brasserie sportive attenante au Centre Bell, là où se conclura jeudi prochain la tournée l’ayant hissé au rang des humoristes québécois les plus populaires, un statut qu’il tente encore d’apprivoiser.

Pierre-Yves Roy-Desmarais a trouvé la meilleure joke. Laquelle ? Il ne nous le dira pas tout de suite. Pierre-Yves Roy-Desmarais a trouvé la meilleure joke : c’est le titre de la 255e et ultime représentation de sa tournée Jokes Chapeau Maman Magie Piano, dont il offrira une version de luxe au Centre Bell la semaine prochaine.

Mais plus la conversation avance, plus il apparaît clair que la meilleure joke consiste en l’idée même de présenter un spectacle au Centre Bell.

C’est quelque chose dont je me suis mis à parler avec mes techniciens, à mesure qu’on bonifiait le show durant la tournée : imagine si on faisait ça au Centre Bell !

Pierre-Yves Roy-Desmarais

Nous y voici presque, attablés que nous sommes à La Cage attenante au domicile du Bleu-blanc-rouge, devant une pinte d’une de ces bières tirant un étrange orgueil de son inaltérable froideur. Nous aurions bien aimé franchir les portes de l’aréna même, mais une ancienne star de la série Degrassi s’y trouvait ce jour-là. L’humoriste prend ses airs de gros bonnet : « Écoute, on pourra y aller tantôt si tu veux, j’ai juste à le texter, Drake. »

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Pierre-Yves Roy-Desmarais en entrevue avec notre journaliste

Pierre-Yves Roy-Desmarais n’est bien sûr pas le premier comique à prononcer cette phrase – « Imagine si on faisait ça au Centre Bell ! » – juste pour rire. Le projet de transposer dans une aussi vaste enceinte une forme d’art qui peut amplement se satisfaire d’un micro et d’un tabouret confine, a priori, à un ridicule semblable à celui d’une production du Cirque du Soleil dans un théâtre de poche.

Mais Pierre-Yves Roy-Desmarais, dont les performances ressemblent à de longues séances de CrossFit, ponctuées de blagues, est dans l’écosystème comique québécois actuel celui dont la gestuelle sur avance rapide, l’intensité de sprinteur et le faciès de plasticine justifient le plus pareil amphithéâtre.

« Plus les mois passaient, plus le show devenait comme une performance sportive, acquiesce-t-il. Au début, je le jouais beaucoup dans la naïveté, dans l’émerveillement d’être là, mais le personnage a pris beaucoup de confiance : je donne des coups de pied dans les airs, je me trouve bon, je me moque du public. C’est comme si Mick Jagger avait pris le contrôle du show. »

S’il se plaît autant à jouer à l’arrogant, c’est que Piouaille n’a en réalité rien du kid kodak sur la peau de qui les flashs font l’effet d’un baume. Lors de ses premiers moments à bord de l’autobus du show-business, le vingtenaire s’offusquait plus spontanément de l’attitude princière de certains de ses collègues (au sens large) « qui pensent que tout leur est dû, qui tiennent pour acquis que tout le monde les connaît, qui réclament le respect de nous, les Moldus ».

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Pierre-Yves Roy-Desmarais

« Et aujourd’hui, ça me fait juste rire, observe-t-il. L’arrogance, ça ne pourrait pas être plus loin de moi qui vais au dépanneur acheter du lait. Je suis heureux de faire un show au Centre Bell, mais il y a une part de moi qui trouve ça vraiment drôle de me prendre pour un kingpin. »

Accessible et raffiné

Pierre-Yves Roy-Desmarais est un humoriste populaire ; écrire cette phrase semble aussi pertinent que de vous signaler que le ciel est bleu. « Mais mon rapport au mot populaire, je travaille là-dessus. Ça a encore quelque chose d’un peu péjoratif à mes yeux », dit celui qui a remporté trois statuettes lors du plus récent Gala Les Olivier, dont l’Olivier de l’année, et qui s’apprête, lui rappelle-t-on, à jouer au Centre Bell, pas exactement une salle confidentielle.

C’est que, bien qu’il fasse aujourd’hui partie des drôles les plus en vue de sa génération, Pierre-Yves Roy-Desmarais descend des Denis Drolet et des Chick’n Swell, des humoristes dont le succès est davantage de l’ordre du culte que du phénomène de masse.

« Je me demande : est-ce que mon humour peut être un restaurant populaire, mais où les chefs aiment aller manger, une expérience accessible, mais raffinée ? », explique-t-il avant de ravaler un de ses mots, de peur de passer pour un de ces Narcisse dont il aime se payer la tête. « Pas dans le sens où mon humour est raffiné... mais dans le sens où j’ai toujours eu aussi ce désir de faire rire les gens qui m’ont fait rire. »

Les gens qui l’ont fait rire ? Lors d’une récente visite de Claude Meunier dans une de ses salles, Pierre-Yves, ferveur disciple de Paul et Paul, aura passé toute la soirée, sur scène, à se demander : « Ça, y trouve-tu ça bon ? Ça, y trouve-tu ça loser ? »

« Et après le show, dès qu’il est sorti de la loge, après être venu me saluer, je n’arrêtais pas de dire à Sam [Boisvert, son ami qui assure sa première partie] : “Réalises-tu que c’était Claude Meunier ? Réalises-tu que c’était Claude Meunier ?” »

Afin d’apaiser cette peur furtive que les gros projecteurs ne correspondent pas à sa nature profonde, Pierre-Yves se répète donc, en pensant à Ding et Dong ou à La petite vie, « qu’il y a quelque chose de beau quand tout le monde embarque dans le délire ».

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Pierre-Yves Roy-Desmarais

Avec amour

En mars dernier, en cueillant un de ses trophées à l’effigie d’Olivier Guimond, Pierre-Yves Roy-Desmarais lançait au podium qu’il est « super important d’encourager les jeunes qui veulent faire des jokes même si ça n’a pas l’air d’un chemin lucratif ».

C’est qu’il n’ignore pas que la confiance dont ses parents l’ont investi demeure parmi ses plus puissants outils. « Ce qui fait que je n’ai jamais eu de plan B, c’est qu’ils n’ont jamais douté de moi, confie-t-il. Je ne pense pas que j’étais le plus talentueux de mon entourage, je n’étais pas le meilleur, mais je n’ai jamais douté que j’avais ma place. J’ai des amis talentueux à qui j’aimerais donner cette confiance. Tu veux tourner un sketch ? OK, appelle Untel pour lui emprunter sa caméra, appelle-moi, je vais venir faire le son. Moi, quand je faisais ça, je n’ai jamais eu peur de déranger qui que ce soit. »

Au cœur d’une industrie où les considérations artistiques cèdent parfois le pas à celles, moins nobles, d’ordre économique, Pierre-Yves Roy-Desmarais espère aussi pouvoir continuer d’envisager sa carrière comme créateur, d’abord et avant tout, plutôt qu’en gestionnaire d’une PME.

C’est un milieu où beaucoup de gens s’identifient comme des winners, aiment gagner, et ça les mène parfois à certains types de décisions. Quand tu veux être au sommet, l’humour a quelque chose d’attirant. Si tu as ce tempérament-là, tu ne te lanceras peut-être pas dans le cirque ou la poésie…

Pierre-Yves Roy-Desmarais

J’aime ça, les jokes : tel est le leitmotiv du spectacle de Pierre-Yves Roy-Desmarais, qu’il remisera jeudi prochain. « Depuis que je suis tout petit que j’adore les jokes et c’est justement parce que l’humour, c’est une business, que j’essaie de ne jamais oublier de faire mes jokes avec amour. Quand les gens font des jokes avec amour, ça fait toute la différence. »

Pierre-Yves Roy-Desmarais a trouvé la meilleure joke, le 27 juillet à 20 h au Centre Bell

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