De Katherine Levac à Guillaume Pineault, de Louis Morissette à Adib Alkhalidey, ils seront nombreux dans les prochains mois à cueillir là où ça lancine les sujets qu’ils sublimeront en rires. L’occasion idéale de s’entretenir avec le journaliste américain de Vulture Jesse David Fox qui, dans son passionnant livre Comedy Book, paru en novembre dernier, défend la principale conviction animant son travail : le stand-up est une forme d’art à part entière et à prendre au sérieux. Conversation autour d’un humour qui, plus que jamais, trouve le comique dans la pas-comique.

L’industrie de l’humour au Québec nous a longtemps présenté, comme argument de vente, le fait qu’on allait avoir mal au ventre en sortant de la salle, qu’on allait mourir de rire, et de plus en plus d’humoristes me disent en entrevue être à l’aise avec l’idée de ne pas provoquer des rires toutes les 10 secondes.

C’est, parmi les idées que je défends, la chose à propos de laquelle les gens se mettent le plus en colère, quand je dis que les meilleurs humoristes ne sont pas nécessairement ceux qui nous font rire sans arrêt.

Dans mon livre, je parle de la fin de l’art : l’invention de la photographie a libéré les peintres, qui n’avaient plus à représenter des gens ou des objets, ce qui n’est pas sans lien avec l’avènement de l’art moderne. Et c’est ce qui se passe avec l’humour : dans un monde où nos téléphones nous bombardent de contenus potentiellement drôles, lorsque tu te retrouves dans une salle, certes le fait de rire avec d’autres gens est rare et précieux, mais ce que tu espères, c’est une forme de lien, de relation avec l’humoriste. C’est ce dont on parle quand on dit qu’un humoriste n’a pas à faire rire toutes les 30 secondes.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

Jesse David Fox

De toute façon, même si un humoriste ne se soucie que du nombre ou de la puissance des rires, les spectateurs vont rire davantage s’ils sont investis dans ce qu’il raconte.

Vous écrivez que « le rire est un critère limité pour considérer une forme d’art ». C’est probablement l’idée la plus étonnante, presque choquante, de votre livre.

Ce qui définit le stand-up, c’est la drôlerie [funniness], qui est davantage un état, un climat créé par l’humoriste. Le nombre de rires est un critère assez superficiel : on a tous déjà vu un humoriste avoir du succès sur scène en faisant du matériel prévisible ou paresseux.

J’ai failli placer un avertissement au début du livre : Je ne dis pas que l’humour ne devrait plus être drôle, je dis simplement que c’est un étalon de mesure qui ne révèle pas tout. Je propose une définition plus large de ce que peut être l’humour, sans exclure la précédente définition.

Juger la qualité d’un spectacle d’humour au nombre de rires, ce serait l’équivalent de juger le succès d’une équipe de basketball selon sa moyenne de points par match, plutôt que selon son nombre de victoires. Et la victoire, dans n’importe quelle forme d’art, c’est de communiquer, d’entrer en relation. Le rire est un canal qui permet ça, mais pas le seul.

Comment expliquez-vous cette effervescence autour d’un humour qui puise dans l’intime et dans des sujets graves, ou du moins pas immédiatement comiques ?

Il faut que je dise d’abord que je ne demande pas au stand-up d’être du théâtre. J’aime le stand-up exactement comme il est. Prendre cette forme d’art au sérieux n’équivaut pas à se priver de tout ce qu’elle a de pas sérieux.

Déjà, dans les années 1950, des humoristes comme Shelley Berman et Lenny Bruce se disaient : tant qu’à être ici, pourquoi ne pas faire autre chose que des blagues sur notre belle-mère ? Mais ç’a toujours été rare, parce que ça fait peur et que c’est difficile, de sortir de ce carré de sable là.

Puis dans les années 1970, on a Richard Pryor qui parle sur scène de sa crise de cœur et de la fois où il s’est mis le feu et c’est le début de ce qu’on pourrait appeler l’humour moderne, au sens de forme d’expression personnelle.

Ensuite dans les années 1990, ce qu’on a appelé l’humour alternatif a amené cette idée plus loin, mais a aussi créé une scission entre ses représentants et les humoristes de club, qui sont là pour tout arracher et ne rien raconter de réellement intime.

Ce qui s’est produit au cours des dernières années, c’est que cette approche dite alternative, au sens large, a pris plus de place, grâce à l’accessibilité à tous les contenus que permet l’internet, et aussi parce que les jeunes humoristes ont des modèles dans le genre, comme Marc Maron, Tig Notaro, Maria Bamford. C’est assez mainstream maintenant de faire ce type d’humour, même dans un contexte de comedy club.

Reste que de vraiment plonger, de se montrer vulnérable, ç’a toujours été et ça va demeurer difficile.

Vous expliquez dans le livre que la vulnérabilité est indissociable selon vous du bon stand-up. Pourquoi ?

Ce que j’aime le plus avec l’humour, ce que ça a de remarquable, c’est que c’est créé avec le public. Et donner au public une forme de contrôle sur sa propre histoire, c’est une forme de vulnérabilité. Mais les humoristes n’ont pas à tous parler de la maladie ou de la mort pour être vulnérables. Présenter quelque chose de différent, de novateur, ça peut rendre vulnérable. Juste monter sur scène pour essayer des nouvelles blagues, c’est se montrer vulnérable.

Le pire genre de stand-up naît d’une peur d’avoir peur. C’est ce qui fait que certains enfilent une armure avant de monter sur scène, prennent le chemin de la facilité.

Si on a peur d’un sujet, je pense que c’est signe qu’on touche à quelque chose.

Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.

Comedy Book

Comedy Book

Farrar, Straus and Giroux

368 pages

À voir dans les prochains mois

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Guillaume Pineault

  • Vulnérable, de Guillaume Pineault (première le 19 mars à l’Olympia)
  • L’homme de ma vie, de Katherine Levac (première le 27 mars au Théâtre Maisonneuve)
  • Sous pression, de Louis Morissette (du 28 au 30 mars à la Cinquième Salle de la Place des Arts)
  • Des putes et des voleurs, d’Adib Alkhalidey (du 23 mai au 1er juin au Théâtre Maisonneuve)