Jugés trop violents par les uns, trop sexués par les autres, les mangas ont longtemps traîné une mauvaise réputation. Et cette perception perdure encore aujourd’hui, au grand dam des enseignants du primaire qui ont choisi cette littérature venue du Japon pour initier les jeunes à la lecture. Avec succès.

D’aussi loin qu’il se souvienne, Kevin Martins Sousa a toujours lu des mangas. « Quand j’étais enfant, les mangas étaient interdits à l’école, alors je les cachais dans des romans pour pouvoir les lire en classe ! » C’était donc tout naturel pour l’enseignant de troisième cycle à l’école Le Vitrail, à Montréal, de transmettre sa passion à ses élèves… en toute légalité.

Il a donc garni la bibliothèque de sa classe d’albums choisis comme Naruto, Demon Slayer ou One Piece. « Les mangas font vraiment partie de mon ADN de prof. J’emploie des personnages de mangas sur des fiches pédagogiques, je me sers de cet univers pour des problèmes de mathématiques… »

Charlotte Manus, 12 ans, a vu son intérêt décupler pour les mangas lorsqu’elle est arrivée dans la classe de Kevin Martins Sousa. « Dans mes autres classes, il n’y avait aucun manga dans les bibliothèques. Avec Kevin, j’ai découvert des séries complètes, comme Death Note ou L’attaque des titans. »

Charlotte était déjà une lectrice assidue et malgré son intérêt pour les mangas, elle lit aussi beaucoup de romans. Mais tous les élèves ne sont pas comme elle, rappelle Kevin Martins Sousa. D’où l’importance de présenter aux élèves un choix varié de lectures, afin de les inciter à lire un peu ou beaucoup. « C’est mieux de lire des mangas que de ne rien lire du tout, lance l’enseignant. Certains jeunes qui refusaient de lire ont accroché aux mangas. »

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L’enseignant Kevin Martins Sousa utilise les mangas comme outils pédagogiques avec sa classe du troisième cycle du primaire.

Un jour, les élèves liront des romans classiques parce qu’ils ont découvert le plaisir de la lecture avec les mangas. Je vois tous les bienfaits que les mangas apportent pour la motivation à la lecture.

Kevin Martins Sousa

Julie Turcotte, enseignante de 6année à l’école primaire des Jolis-Prés, à Laterrière, a aussi constaté cette année que la lecture en groupe de mangas avait un effet bénéfique sur l’intérêt des enfants, en particulier les garçons, mais aussi des filles que la lecture rebutait. « Lorsqu’on a lu Samouraï 8, les jeunes ont bien aimé. On devait lire 4 pages seulement et finalement, on en a lu 20 ! »

Amélie Jean-Louis, présidente-directrice générale des librairies O-Taku, n’est pas surprise d’entendre cela. Depuis deux ans, elle voit de plus en plus d’enseignants venir s’approvisionner au lounge de la rue Saint-Denis, à Montréal, ou chez l’une des huit librairies partenaires disséminées à travers le Québec.

Toutefois, tous n’ont pas sauté dans le train du manga. Ce genre littéraire compte encore son lot de détracteurs, qui lui reprochent en particulier un certain penchant violent. « Il faut bien choisir les titres qu’on fait lire. Oui, il y a parfois des bagarres, mais pas plus que dans Astérix ou Tintin », lance Kevin Martins Sousa. « La violence n’est jamais gratuite, ajoute Amélie Jean-Louis. Le niveau de violence est moindre que ce que les jeunes voient dans les films. »

Les mangas véhiculent au contraire des valeurs qui sont justes et belles, disent ces deux passionnés. La fraternité, la persévérance, le courage, l’importance d’aller au bout de ses rêves et de cultiver sa différence, notamment.

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Amélie Jean-Louis lit tous les mangas qui entrent dans sa librairie, soit une dizaine par semaine !

Contrairement aux comics américains, le héros de manga n’est pas un solitaire. Il s’entoure d’une pléthore de personnages qui vont s’entraider.

Amélie Jean-Louis, présidente-directrice générale des librairies O-Taku

Ces valeurs trouvent un écho favorable chez les jeunes lecteurs. Mais il y a d’autres raisons pour expliquer l’engouement actuel auprès des élèves du primaire. Pour Charlotte Manus, l’intérêt des mangas repose surtout dans les dialogues. « Il n’y a presque jamais de narration. Ce sont toujours des conversations. J’aime aussi beaucoup les dessins, qui sont très expressifs, avec les gros yeux des personnages, par exemple. » « En plus, les chapitres se terminent toujours sur un suspense qui donne envie aux élèves de connaître la suite », ajoute Julie Turcotte.

Malgré toutes ces qualités, certains enseignants hésitent encore à intégrer les mangas dans leurs trousses pédagogiques pour la simple raison qu’ils se sentent dépassés par la multitude de titres offerts. Amélie Jean-Louis les comprend. Elle lit chaque nouveau titre qui passe par sa librairie, soit une dizaine par semaine ! Et les titres sont aussi variés que les sujets abordés : histoire, aventure, gastronomie, jeu d’échecs, adaptation de classiques de la littérature, biologie humaine…

Pour aider les enseignants, mais aussi les parents, à s’y retrouver, l’O-Taku Lounge a créé une page S. O. S. Parents sur son site internet, avec des suggestions de cadeaux pour les enfants et les adolescents.

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